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12 février 2013

Selima

10

Le soleil retombait de nouveau sur les terrasses, grises à cette heure, et Selima sentait le froid pénétrer, traverser le fin et léger tissu qu'elle portait avec amour. 
Il lui avait été transmis par sa mère qui le tenait de sa grand-mère. Ce bout de chiffon avait voyagé de génération en génération, de soleil en chaleur électrique, de gel en poussière, de lavoir en lave-linge et toujours, il tenait bon. 
Chargé d’histoire plus que d’utilité, il était vêtement et grand-mère, souvenir et émotion, tendresse et douceur. Maternel et fil d'Ariane, seconde peau, placenta, couche d’amour et d’émotion. 
Transmis de mère en fille comme un secret, comme un témoin. Un secret sans paroles. Un témoin silencieux. Transmission du rien et pourtant poids lourd, pesant.qu’elle

Quelle responsabilité sur les épaules de cette adolescente en proie, ce soir, à une angoisse inexpliquée, un frisson cafardeux !

Selima tenait un bout de manche, de courte manche, entre le pouce et l’index et le frottait à la manière d’un commerçant qui en apprécierait la qualité et qui, plus tard, compterait les billets avec le même geste.

Qu’arrivait-il ce soir ? Était-ce cette fraîcheur inhabituelle de fin de printemps, ces couleurs étirées à l’horizon ou les évènements de la journée qui la rendaient nostalgique ?

Peu à peu, Selima percevait comme une révélation lente. Elle prenait conscience d’un appel, d’un devoir. Cette idée se faisait de plus en plus présente, de plus en plus pressante, de plus en plus pesante. Était-elle investie d’une mission, chargée, elle, petite jeune fille solitaire de conter, raconter l’histoire, son histoire, leur histoire ? Elle ne savait pas déterminer si elle s’en persuadait ou si cela était plus fort, si la volonté était extérieure.

Mais, raconter quoi ? Toutes les vies sont banales. Raconter sa mère, sa grand-mère. Elle n’imaginait jamais QUE des femmes dans son passé. Destin cruel qui l’avait séparée de ses aînées, trop tôt, bien sûr, toujours trop tôt, ne lui laissant qu’une étoffe pour sécher ses larmes et sentir la chaleur de sa famille.

Raconter comment ? A qui ? Pourquoi ?

Pourrait-on encore lire quelque chose dans les mailles de ce tissu usé sur lequel les évènements s'étaient superposés, entremêlés ; les uns gommant les autres et le temps n’étant plus qu’unité, à l’image de ces cités enfouies et redécouvertes, sorties du sol et dont le tri des époques est si difficile à faire ?


08 octobre 2012 (45)

Descendant de l’avion qui la ramenait à Paris, Selima avait tout oublié de ce sentiment d’un soir qui l’avait transportée, tel un tapis planant, au-dessus du réel, proche du divin.

Il pleuvait des cordes sur la piste et les passagers de retour de Tunis remerciaient intérieurement, l’inventeur de ces accordéons géants qui permettaient de passer directement de l’appareil à l’aérogare. Les chemisettes et les robes à fleurs choquaient les imperméables et parapluies qui attendaient un proche. Le rire éclatant, agressif et vulgaire d’une blondasse, touriste de club, agressait les pâles parisiens. De plus, cette extravertie avait osé recouvrir, mais si peu, son bronzage d’une tenue exotique "ramenée-d’un-souk-où-le-vieux-monsieur-était-très-cool-nous-avons-sympathisé" Quel beau souvenir ! Légèreté, mépris et vulgarité étaient ses véritables vêtements.

Selima allait retrouver sa chambre de bonne, 12 mètres carrés sur cour, 6ème étage, 18èmearrondissement..

Réveil brutal : contrastes du Soleil et des nuages, de l’Espace et de l’exigu, du Respirable et du pollué. Mais, aussi de l’Abondance et du dépouillement, de l’Organisé et de l’à-peu-près, du Confortable et du peut-être.

Tunis – Paris. Paris – Tunis. Cinq lettres chacune. Villes sœurs tant le lien aérien est continuel. Capitales à l’attirance obsessionnelle. Cinq lettres : Consonne - Voyelle - Consonne - Voyelle – Consonne. Mais, Rabat et Dakar font de même. L’Afrique, bizarrement liée et reliée à Paris.

Tirées par les cheveux ces réflexions. Tirées par les cheveux de l’intérieur du crâne de Selima déboussolée, déséquilibrée, sans plus repères. Dormir, dormir, dormir pour, plus tard... savoir... ou oublier.

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Commentaires
S
J'aime beaucoup ces portraits que tu rédiges et déroules régulièrement de façon touchante dans un style qui t'appartient. Dans ce portrait de Selima et son chiffon muet, il me vient à l'esprit la parenté étymologique du texte et du textile : qu'il s'agisse de la trame d'un récit ou du grain d'un chiffon, il est toujours question de "tisser" du sens (latin "texere"). Et sinon, sur un autre registre, je suis pour ma part allergique au "contour des lèvres", pratique locale mortelle pour le sex-appeal à mon goût...
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P
Claudio tu es un odieux blondassophobe !
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