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15 avril 2013

Lorraine et la bibliothèque

16 mars 2013 (12)

Lorraine habitait la bibliothèque. Ou presque. Elle y était fourrée du matin au soir et même le dimanche depuis peu. 
Elle y prenait tant de plaisir qu'elle avait fini par délaisser mari et enfants. 
Elle commençait toujours par humer les rayons. Tous. Elle laissait traîner ses doigts sur les livres tout en marchant, comme font les enfants avec une brindille sur le mur. Caresses légères et chaleureuses, rite d'ouverture. Comme un Bonjour à ses hôtes. Sourire en coin, elle gardait son choix secret pendant longtemps.
Tout le monde la connaissait et personne ne s'étonnait de la voir déambuler, pieds nus dans les allées, robe de gitane trainée et corsage vainqueur. Lorraine se déchaussait car une bibliothèque, c'est un lieu sacré, disait-elle. La preuve, les gens ne parlent pas, ils chuchotent.
Tout le monde la connaissait et pourtant personne ne lui parlait. Son charisme impressionnait les curieux et étourdissait les sensuels. Ces derniers allaient et venaient, regard hagard et yeux révulsés, pas chancelant et gouttes de sueurs ; ils finissaient toujours aux toilettes. Elle savait tirer profit de ces allées venues, l'inspiration-expiration était devenu un exercice très voluptueux.

Puis, après les préliminaires, Lorraine faisait son choix. Elle enveloppait l'élu de ses mains fortes et fines et l'emmenait dans un coin. Talentueuse et très expérimentée, elle dévorait le bienheureux à une vitesse folle mais sans bâcler. Très peu pour elle la diagonale, l'exploration se faisait en profondeur du début à la fin.
Elle suivait son rite à la lettre, tous les jours. Et tous les jours, tous les gars, tous les gars du village étaient là, au spectacle.

Un jour Lorraine, à force d'aller boire à la source de la connaissance, mourut. On ne sut pas bien de quoi. D'une maladie d'imprimeur ou de bêbêtes qui montent de  bouquins décrépits ou vérolés.

Depuis, ses sandales trônent sous son portrait à l'entrée de la bibliothèque "Lorraine Lepage"à Laval.  Ceux qui l'ont connue ne fréquentent plus les lieux. Les autres ne lisent plus mais font le pèlerinage. Une beauté pareille sur une culture sans pareil, fascine les foules. On vient la visiter comme on aurait aimé le faire de son vivant. Et les toilettes affichent complet.

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