Billet bougon
J'aime beaucoup apporter de l'eau au moulin de mes contradicteurs. C'est assez plaisant de se corser l'affaire. Se donner une bonne image, se défendre ou défendre son camp, chercher son propre intérêt serait trop facile. En revanche, casser son image, se livrer, poitrine ouverte, et offrir des arguments au camp d'en face, histoire de se creuser un peu plus la cervelle afin de trouver la réplique ou l'objection juste, est assez jouissif. Masochiste, diront certains. Formateur, répondrai-je. Voilà, je viens de le faire. J'ai soufflé "masochiste" et cela m'a fait trouver "formateur".
Cette introduction trop longue n'était là que pour annoncer un article "bougon". Parce que malgré l'indulgence que je crois avoir avec le monde qui m'entoure et la tranquillité d'esprit qui m'habite, je passe pour un râleur professionnel. Alors, pour une fois, quitte à avoir une réputation, groupons donc les quelques sujets qui troublent, ces temps-ci, ma sérénité. L'écrivant, je sens déjà que je vais m'obliger à faire le grincheux.
1. Commençons par les mots et expressions que mes yeux et mes oreilles ne supportent plus : "Quelle leçon de vie !", "L'école de la vie", "La vraie vie", "Une aventure humaine", "L'intelligence collective", "Développement Personnel", "Coach", "Parler avec son coeur", "C'est moral, c'est pas moral", "Indignez-vous, Les Indignés", "Made in France", "L'identité numérique", "Chercher sur Internet", "Réac", "Patrons-voyous", "Islam modéré", "Culture gay ou homosexuelle", "Faites-vous plaisir", "Entre copines", "Relooking", "Droits acquis"...
2. J'ai toujours pensé que certaines choses devaient rester dans l'intime. Malheureusement, sous prétexte de se livrer ou d'exprimer ses émotions, certains oublient la pudeur, la discrétion et la retenue, toutes choses nécessaires pour respecter ou ménager son prochain. Que l'on pratique la prière, la méditation ou l'autosuggestion ne me choque pas, mais qu'on l'étale dans un article ou sur un écran me met mal à l'aise et décrédibilise, à mes yeux, la sincérité de l'exercice. Cet étalage quotidien des croyances religieuses est devenu écoeurant. Et, tout aussi écoeurant est le propos des bien-pensants qui s'empressent d'exprimer leur respect pour les religions, "toutes les religions" ajoutent-ils, se croyant d'une infinie tolérance.
3. Notre époque adore le "héros ordinaire", surtout s'il fait le modeste. Eh bien moi, je déteste ce consensus. Parce que je sais que c'est la situation qui appelle l'action courageuse et que la plupart d'entre nous aurait réagi comme notre héros. L'action courageuse, c'est la norme.
4. Je crois que j'ai développé une phobie. Celles des citations. Nous n'aurions donc plus de pensée propre, de réflexion personnelle ? Chacun y va de son aphorisme exotique, sa devise signée d'un grand auteur, sa maxime-phare. J'en suis arrivé à fuir toutes les pensées des guides spirituels souvent profondes pourtant. Mais ce fast-food de l'expression crétinise avec l'apparence de la culture. Et, tenez-vous bien, cet étalage sans développement n'est pas l'apanage des adolescents en construction.
J'ai peur de devoir m'arrêter de peur de ne pouvoir m'arrêter tant la liste est longue de mes petits agacements quotidiens lorsque je décide d'endosser le costume du bougon qu'on me prête sans que j'ai besoin de le réclamer. Aussi, j'y reviendrai sans doute.