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Singulier Pluriel
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22 octobre 2013

Rapport intime

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Il y a bien longtemps que je caresse l'idée de révéler ici des sensations très personnelles. Il m'a fallu longtemps réfléchir avant de me livrer, sur un sujet si intime. Car il convient d'être délicat en se découvrant pour ne pas virer à l'exhibitionnisme ou à la vulgarité. Aujourd'hui, je me lâche sans pudeur, car il me semble avoir bien approfondi la chose. Je le fais d'autant plus volontiers que les confessions des autres, recueillies ici ou là m'ont souvent déçu. Soit ils enfilaient platitudes et pratiques communes, soit ils s'envolaient vers des exercices aussi vaporeux que platoniques. Ne faisons pas languir plus longtemps et dévoilons le sujet :

Je veux avouer ici, ce qu'un de mes amis a nommé, mon "rapport intime et personnel" à la course à pied. (merci Norbert)
Cela pourrait être ma contribution à la fameuse question : "pourquoi courez-vous ? ". On répond souvent qu'on ne sait pas vraiment ou qu'on se mesure à soi-même, qu'on cherche à se dépasser et autres hypothèses... Parce qu'évidemment, il serait trop facile de s'en tenir à l'exercice physique et au maintien de forme. S'il n'y a pas autre chose, on ne court pas longtemps, ou alors, on ne court pas vraiment.
Bien sûr, il a fallu en baver quelques années, se secouer, souffrir, ajuster, se motiver, se remotiver, seul ou accompagné. Puis, on a pris confiance, on a appris et on a géré de mieux en mieux. On pensait qu'il s'agissait d'un sport de liberté en se disant, "c'est simple, tu sors et tu cours, t'as besoin de rien. Même pieds nus tu peux courir". C'était vrai et pas si vrai que cela dans la pratique. On s'est laissés prendre au jeu, on a investi, on a recherché du confort. Et, par à-coups, on s'est freinés, pour ne pas plonger et se rendre complice du superflu. On a voulu se tester une fois sur une course. Rien qu'une fois. Et on a avalé le chaudron. On a augmenté la distance. Juste pour voir. Et on l'a augmentée encore. Courir est devenu une drogue assumée et positive. Et, l'idée de courir est une addiction supérieure à celle que produit la course elle-même. (La connaissance de la drogue du jogger est assez répandue, même si elle est contestée. Elle serait plus psychologique que physiologique).

Alors quelle est cette autre chose qui nous fait "Être un coureur" et pas seulement courir ou faire de la course à pied ?
Je crois l'avoir compris chez moi. Je précise que je ne suis pas un compétiteur acharné, ni un accroc au monde des coureurs qui s'abreuvent de technique, de connaissance de matériel et de convivialité de passionnés. Je suis un modeste senior solitaire.

Courir n'est pas pour moi un loisir. Je ne pars pas courir pour me faire plaisir. Je cours en investisseur. C'est donc plus tard que je récolte. Je sème pas à pas avec toujours l'idée de semer. Le plaisir immédiat ne m'habite pas. Même lorsqu'après 1 h 30 de course, je plane au-dessus du sol, toute créativité ouverte et tous sens en éveil, que tout est devenu beau même le laid, que la certitude de la perfection du monde s'ancre un peu plus, je n'attribue cet état qu'à l'heure et demi qui a précédé, pas aux foulées de l'instant. Je ne m'amuse donc pas en courant. Ce serait assez vulgaire. Je construis demain. Et c'est parce que je cours depuis tant d'années qu'aujourd'hui est beau. Si je veux qu'après-demain le soit aussi, je dois courir maintenant. C'est du long terme ma course à pied, du placement de bon père de famille, du sillon de laboureur besogneux, solitaire, sûr de son soc et de son tracé. Tortue sage plutôt que lièvre fanfaron. Les petites courbatures dans les muscles des jambes, ressenties après les sorties longues ne sont pas douleurs. Elles sont retour. Elles me disent que j'ai bien travaillé, que je suis un bon ouvrier qui sait se lever tôt pour faire son devoir, sans plainte et sans peur. Je cours avec le sens du devoir ; ça me plaît bien d'écrire cela. Alors je ne me divertis pas. Se divertir serait une fuite d'un présent trop pesant, une diversion dirait l'étymologie, une lâcheté peut-être. Le divertissement, en toutes choses, est la preuve qu'on n'a pas su anticiper, préparer un bien-être structurel, alors il nous faut cacher la misère, l'évacuer, la remplacer temporairement. Investir dans la course à pied, c'est évacuer avant que ne se présente la chose à évacuer. Courir ainsi, c'est être le combattant zen qui ne combat pas, tant son entraînement lui a donné l'attitude du guerrier que personne n'attaque. Je m'emballe ? Peut-être. J'ai la foulée d'écriture motivée et des endorphines dans les doigts.
Avaler les kilomètres année après année, c'est un travail de scribouillard qui veut marquer le pavé de son empreinte. Il sait le rouleau de bitume infini et il écrit, et il écrit. Ligne d'arrivée ou pas, chaque pas est ligne de départ. Si le chrono peut parfois compter, le temps, lui, ne compte pas, son horizon s'éloigne à chaque pas.
Alors, à chacun son "rapport intime et personnel" à la course à pied. C'était le mien. Plénitude plutôt que plaisir. Enfantement plutôt que divertissement. Engagement plutôt qu'aventure.

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Commentaires
S
Superbe billet, dont on ressort essoufflé... Voilà qui répond partiellement à ma question récurrente sur ces accros à la course à pied : mais, où courent-ils ?
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L
Voilà qui pourrait peut-être servir de modèle pédagogique à qui aurait décidé d'enseigner l'épicuréisme...
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L
Tout comme un marathon ou autre course d'importance, on sent bien ici dans l'écriture tout le travail préparatoire en amont. De la haute compétition, ce billet!
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C
A la relecture, je me demande si je n'ai pas plutôt répondu à la question "Comment courez-vous ?".
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