L'ennui
Plus le temps passe, plus je m'ennuie.
Plus le temps passe moins je m'ennuie.
Ces deux informations sont parfaitement justes. Et aussi justes l'une que l'autre.
Rares deviennent les activités ou relations sociales qui me réveillent, me passionnent et attisent ma curiosité. Tout est toujours trop long. Un film, un bouquin, un échange, une réunion, un déjeuner, un voyage. On enrobe tout dans du papier de superficiel, dans du déguisement, du festif, du spectacle, de l'apparence. Le temps de défaire le cadeau, de gratter l'inutile, on est fatigué avant d'atteindre la pépite au cœur. Et quand la pépite se révèle crottin de chèvre, le sentiment d'avoir usé ses forces pour rien a quelque chose qui ressemble à la mort. Pas moins.
Cela a toujours été me direz-vous, il suffit d'emprunter d'autres chemins et de choisir ses relations. Pas tout à fait vrai. Car même la culture, l'intelligence, le spirituel, tout s'habille de paillettes et d'huile. Il faut que tout soit vendeur et passe, et glisse.
Alors, tout m'ennuie.
L'œil entrainé a musclé sa perception. Plus rien ne lui échappe. Ses biscottos l'ont fait champion du monde de l'observation. Tout est scanné, analysé, enregistré et consigné. Plus rien ne passe sans utilité. Le sens est consistance.
Ce tout petit gravier sur un trottoir est zoomé, cadré et devient source d'inspiration. L'esprit lui invente une histoire, une famille et des états d'âmes.
Tel une pieuvre, un séisme au bout du monde déploie en moi, une multitude de tentacules aux rôles différents. Tentacule sentiment et tentacule histoire voisinent avec tentacule géopolitique et tentacule solidarité ; et la boule de neige fait son effet... à l'infini.
Alors, les sens à l'affût, tous les sens en éveil, rien ne m'ennuie.