Eux et nous

Eux, ils étaient en 7ème et nous au CM2.
Nous nous demandions pourquoi tous leurs cousins s'appellaient Germain.
Ils allaient aux vèpres et nous, aux champignons.
Ils disaient Maman quand ils parlaient de leur mère.
Ils préparaient carrière quand nous parions au plus pressé.
Leurs pères maniaient le stylo-plume, les nôtres, la truelle.
Ils parlaient d'avenir et nous de lendemain.
Ils partaient à La Baule, mais, nous gardions les lieux.
Parfois, croyant bien faire, ils nous offraient les cotillons de leur fête passée.
Un jour, leur chauffeur nous apporta des cadeaux pour Noël ; la honte enrubannée.
Ils parlaient de "dessert" et nous de "fruits".
C'est chez eux que nous utilisions le téléphone pour les urgences.
Ils étaient très gentils, nous les voyions condescendants.
Ils étaient callots, billes de verre, agathes, et nous, billes de terre, mais, parfois, David mangeait Goliath.
Ils avaient de l'argent de poche et des cadeaux lorsqu'ils passaient en classe supérieure.
Ils mangeaient des pommes d'amour, après les tours de manèges. Nous regardions les auto-tamponneuses, une fois les trois tickets de la Caisse des Ecoles utilisés.
Plus grands, nous irons même à leurs "boums", les regarder danser.

Ils avaient des clés autour du cou. Pas nous.
Un jour, ils partirent au service militaire. Pas nous.
Plus tard, ils s'étriperont pour un héritage. Pas nous.
Longtemps, ils se sont lamentés. Pas nous.
Nous, nous nous croyions illégitimes à vivre, à obtenir, à être. Alors, on a mimé, puis cherché les codes. Longtemps. Trop longtemps. On ne les a pas trouvés. Alors, on a fini par se les fabriquer. Et sur ce coup-là, les enfants de truelle avaient, au moins autant de chances que la progéniture du Mont-Blanc.