Lectures de Février. Pages 82.

Trieste. Sa première idée se révèle donc la bonne. Elle va se rendre au pied des Balkans, au seuil du rideau de fer, au bord de la mer Adriatique. Ce n'est pas loin de Venise, peut-être iront-ils jusque là ? Elle rêve à vive allure tout en inspectant la carte géographique à la loupe, elle rêve en spirale autour des mots qu'elle attrape à la volée dans l'atlas, et des images les illustrant. C'est son tour de s'enivrer de noms à la sonorité neuve et belle comme un essaim d'abeilles, de libellules, de feuilles d'automne, de flocons d'or.

Frioul-Vénétie, baie de Muggia, Alpes dinariques, vent bora...

Il était vieux : il versa quelques larmes. Il lui demanda pardon d'avoir longtemps douté d'elle et d'avoir eu à son égard des paroles qui pouvaient passer pour blessantes et qu'il regrettait amèrement. Elle pleurait à gros bouillons, en détournant la tête, et, mettant sa main sur le front de mon grand-père, elle lui disait d'une voix douce qu'elle l'avait toujours respecté et admiré. Il balbutia :

- Merci. Vous êtes belle. Je vous aime.

Et il mourut.

"Je suis en colère. J'ai honte de ne pas ressentir de chagrin. Je me sens seule. Je ne pleure pas et pourtant il le faudrait, parce que c'est ce que l'on attend de moi ; peut-être pour me consoler. C'est ce que je voudrais en tout cas. Pourtant rien ne se passe. J'ai honte et je me sens abandonnée. Je me sens une mauvaise fille. Une méchante fille. Une sale fille."

Un objet pur au sens mallarméen est un objet irréel, soit un objet privé de toute teneur en réalité. Une fleur pure est une fleur qui n'existe pas, une fleur réduite à un coefficient d'existence égal à zéro : c'est la fleur "absente de tous les bouquets" dont il est question dans l'Avant-Dire au Traité du verbe de René Ghil. C'est pourquoi les objets qui "peuplent" l'univers mallarméen, mais qui ne peuvent peupler aucun univers réel, sont nécessairement d'une fragilité, ou plutôt d'une porosité, qui les confine à la frontière du visible et de l'invisible, de l'existant et de l'inexistant, du concevable et de l'inconcevable.

La crise dont je parle est une crise d'exaspération, le sentiment d'une brusque révolte devant la souffrance et les contradictions d'une "situation" vidée de son sens et devenue intolérable.

Les premières réponses, les premières formes de la "sortie de crise", destinées à la restauration de la sérénité et peut-être du bonheur, sont de deux sortes. Les sujets se séparent et réitèrent la même aventure avec d'autres amants : aveuglément, n'ayant rien changé de leur conception de la relation et de l'amour, ils préparent sans doute de nouveaux conflits et de nouveaux échecs. Ils ne sont pas poussés par une pulsion de "répétition" comme le croient les psychanalystes, ils poursuivent seulement leur existence avec les mêmes perspectives, celles qui furent toujours les leurs ; les époques temporelles ne sont différentes que par les différents partenaires qui interviennent dans le cours inchangé de la vie du sujet. Il est clair que cette solution de la problématique est purement illusoire.