Les Marie composées

Le vent a tourné.

Toutes les Marie au prénom composé prenaient bien soin, dans le passé, d'éluder la première composante de leur prénom. Aussi, nous avons tous connu des Chantal, des Christine et des Cécile qui trichaient. Je ne leur prête pas le snobisme des prénommées Raymonde se faisant appeler Chloé pour mieux grimper les marches de la gloire, ou la bêtise des Marylin issues des rangs des Micheline ou des Lucienne. Non. Pour les Marie, c'est plus compliqué. Les ravages de la religion, qui en a fait d'autres, n'ont pas de limites. C'est jusque dans les prénoms des petites filles, qu'elle vient poser ses pesanteurs ! Il convenait donc de s'en affranchir. Car, si seul, le souci de faire court, il y avait eu, il aurait suffi de garder Marie. Par ailleurs, s'exposant à l'injonction de se coucher là, elles étaient précautionneuses. Alors, les Marie-Jeanne devenaient des Jeanne et les Marie-Laure des Laure, que ça plaise ou non. Nous autres, étions souvent ignorants de l'astuce. Et quand nous le savions, il ne nous serait pas venu à l'esprit de leur chercher des poux dans la tête ; pas même aux Marie-Rose. Le Marie banni, leur prénom allégé s'envolait.

Mais, tout cela, c'est terminé. Le vent a tourné.
Les mêmes, les sans Marie ont mis leur vie à l'envers. Aux orties les Rose, aux fraises les Charlotte et aux souvenirs les Madeleine. Ne les appelez plus France, même si la France ne leur a rien fait. N'en déduisez pas trop vite que Marie-France est de retour. Seule Marie est là. Car c'est le dernier chic : se faire appeler Marie, tout simplement. Avec l'âge, on aurait des envies de nouvelle virginité ? Sans doute.
Des exceptions demeurent, bien entendu. Et suivant l'évènement, on pourra ressortir les habitudes ancrées. On laissera faire l'arrière grand-tante qui aura reconnu la petite Marie-Thérese et la marque déposée Ségolène à qui, on n'oserait pas recoller un trait d'union.

Le vent a tourné. Et dans le bon sens. Une légereté joyeuse a lâché leurs cheveux. On les voit sur des chemins champêtres, jupe virevoltante et bicyclette d'antan, tenant le guidon d'une main et le large chapeau de l'autre. Elles pédalent vers la vie. Les Marie s'émancipent en assumant la part qui leur pesait. Elles cassent l'icône et brisent les chaînes (pas celles des vélos). Elles redessinent leur destin en inversant les priorités d'un prénom compliqué.
Alors, laissez la lourdeur à l'administration, soyez Marie avant toute chose et nous ne le serons pas.