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25 mars 2014

L'ombre de l'albatros

20 février 2014 (4)

On sait depuis longtemps les difficultés qu'ont les albatros à se mouvoir dans la foule des troupeaux, à marcher sur le plancher des vaches, à ramper au niveau des pâquerettes. On sait depuis longtemps le peu de compréhension qu'ils ont de la part des esclaves photocopiés. On sait depuis longtemps qu'ils meurent sans reconnaissance de leur abnégation et de leur générosité.
Mais, on oublie souvent, que l'ombre de leurs ailes réveille des jalousies destructrices. Ces bipèdes rampants qui les piquent sur le pont n'ont de cesse de les chasser en l'air, de leur couper leur vol. Non qu'ils aimeraient s'envoler à leur tour, goûter de la liberté, briser leurs chaînes, prendre leur risque. Non. Ils voudraient seulement éliminer une concurrence inaccessible, des élévations inatteignables, des supériorités incompréhensibles. Éliminons celui qui fait de l'ombre, qui rend minable par comparaison, nous aurons le soleil, les projecteurs et les vivats, sans effort.

Rejeté au sol et chassé dans les airs, l'albatros passe plus de temps à slalomer, à tenter de comprendre la plèbe, qu'à prendre les vents ascendants, à aspirer ses ennemis, à les convertir à la pureté des couches supérieures.
Il aimerait pourtant, expliquer, convaincre, entraîner. Qu'on l'écoute avec humilité et qu'on le croit. Qu'on croit, enfin, que chacun est capable de se faire pousser des ailes, peu à peu, avec persévérance. Qu'on croit qu'avec les ailes poussera le coeur, qu'il battra pour l'universel et la paix. Qu'on croit que les courbes des vols oublieront les angles droits, les esprits obtus et les cercles vicieux. Qu'on croit que chaque dessin ailé sera différent et complémentaire, individuel et fraternel, unique et partagé. Qu'on croit qu'à force de croiser les coups de plumes en l'air les liens se tisseront et le maillage, ainsi, tricotera un chandail collectif à la douceur insoupçonnée.

Mais l'albatros ne comprend pas que le rampant ne comprend pas. Et quand il le comprend, il ne comprend pas qu'il ne comprenne pas. Naïf et ambitieux, humble et courageux, il croit les autres identiques. Le chasseur d'albatros, lui, comprend que le coeur pur de l'oiseau sublime est une faiblesse à portée de fusil. L'albatros ne baisse jamais les ailes et tous les matins se dit que cette fois-ci, c'est la bonne, que c'est l'heure, que la nuit des souliers lourds leur a porté conseil, que leurs oreilles auront désormais le pavillon accueillant et la compréhension possible.
L'albatros embrasse le monde. Et le monde n'y comprend rien. Et pourtant, il n'est jamais trop tard.

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