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Singulier Pluriel
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22 septembre 2014

Bambi est toute cassée

Tiens, c'est le soir des encombrants ! C'est ce que j'ai d'abord pensé. J'ai cru voir une vieille paire de skis et de vieux bâtons tordus posés contre le mur. En m'approchant, je distingue mieux. Il s'agit d'une longue femme dégingandée et squelettique, épaule écrasant l'immeuble, les genoux disloqués, une canne anglaise aussi incertaine qu'elle,  et le bras à demi-tendu vers les passants.
Un, deux, trois, quatre. Quatre passants passent. C'est leur boulot. Le bras reste. Ce n'est pas son boulot. Aussi, quand l'instant me désigne cinquième passant, je fais une halte... Elle veut que je l'accompagne jusqu'à chez elle. C'est là-bas. Le là-bas a bien une direction, mais, le but est plutôt vague.
Elle se redresse et manque de s'écarteler avant même de faire un pas. Les vieux skis se sont transformés en Bambi sur la glace. Si elle tombe, on va jouer au Mikado. Elle prend mon bras. De l'autre côté, la canne d'un autre âge, poignée et appui, rouge vif, fait de son mieux. Mais, l'embout plastique censé sécuriser les déplacements a perdu de sa jeunesse et une fois sur deux, la dame s'appuie dans le vide. C'est le cinquième de service qui rattrape la situation.
Un pas, deux pas et j'ai compris. Elle sent l'alcool à plein nez. Et, lorsqu'elle parle, elle pue l'alcool.

 

21 septembre 2014 (3)

Quitte à m'afficher avec ma fiancée sur mon trottoir, autant que je regarde sa tête. Quart de tour droite ! Ma passagère fait peur. Elle a la quarantaine octogénaire. Il faut le dire, elle est laide et ravagée, détruite et perdue, ailleurs déjà. Mais, tout au fond de ce regard bleu délavé, coule une détresse qui vous chope les tripes et vous les vrille sans vous laisser le temps de réfléchir. Quand en plus, une narine laisse couler une morve transparente, vous la voyez enfant, innocente, et, peut-être déjà fracassée ou programmée pour l'être.
Vous avez tout compris. Elle a pris le TGV pour le cimetière et personne n'y pourra plus rien. Vous pouvez juste l'accompagner cent mètres, un peu plus lentement, perfusion d'humain debout à moribonde en vrac. Alors, vous gérez. Faire sa part et ne pas se laisser bouffer. Lui parler, la rassurer, la diriger.


Et lorsqu'elle vous engueule parce que le trottoir est trop haut, vous la remettez à sa place en lui rappelant que c'est vous qui l'aidez. Pardon, dit-elle, apeurée. Plus on avance, plus chez elle c'est plus loin ; ça sent l'arnaque ! Un parapet vient vous secourir. "On va s'asseoir et se reposer Madame". "C'est ça, et tu vas te casser !?" Elle l'a sorti d'un coup, très fort, violemment. La peur, encore. La peur de l'abandon qu'elle a dû avoir toute sa vie. "Non, je ne vais pas me casser, je vais partir. Reposez-vous un peu, puis, vous demanderez à quelqu'un d'autre de vous aider à faire un bout de chemin"
La laisser, partir et ne pas se retourner. Et puis si, se retourner. La raison a décidé et il convient de l'assumer. Elle n'a pas encore levé le bras, et regarde ailleurs, là-bas.


Au retour, apercevoir l'enseigne lumineuse du bar voisin, et se dire qu'il y a quand même un abruti qui lui a servi sa dose, plutôt dix fois qu'une.
Les encombrants passeront un autre jour. Et j'espère que les croque-morts aussi.

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Commentaires
C
Compris et complice sans aucun doute, mon Ami. <br /> <br /> Mais, la date s'est invitée toute seule, je n'y suis pour rien ;-)
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L
Un billet daté 22 septembre...presque un 23 donc. <br /> <br /> Images pas sages, inventaire pour un verre, tentative d'en rire... Rien n'y fera, une drôle d'odeur dans la bouche comme une "cuite sèche" ce billet si bien (dé) cri (s).<br /> <br /> Désespoir? Espoir aussi!<br /> <br /> Lecture particulière en tout cas et commentaire qui sera je pense "complice", du moins compris.
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