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16 juillet 2015

Trop tendre

07 mars 2015 (30)Il est 11 heures du soir à la pendule du jour. Et, il est 11 heures du soir à la pendule de sa vie, aussi.
Avant de souhaiter une bonne nuit, il a posé son épaule sur le chant de la porte ouverte, comme s'il demandait du rabe, par peur qu'elle ne se referme trop tôt, peut-être. Encore un peu d'échange. Encore un peu. Timidement. Encore des choses à dire, à ranger sans déranger. Comme si minuit pouvait faire basculer vers la nuit, la noire, la vraie. Des prolongations qui ne décideraient de rien, qui seraient là, juste pour étirer le temps du coeur.
L'épaule posée repose le corps fatigué. Chétif et sec, vif et lent, c'est la carcasse rétrécie qui stocke tant de passé et tant d'énergie freinée. Le contenant livre, aux esprits éclairés seulement, un contenu riche et toujours mouvement, une force un peu désabusée d'avoir si peu collé à des ambitions plus grandes, plus gourmandes. L'auditoire a compris qu'il ne fallait pas bâiller, malgré l'heure tardive, qu'il convenait, à ce moment précis, d'ouvrir grand les oreilles et d'accueillir ce qui allait ressembler à une confidence, à un non-dit patientant depuis longtemps. L'heure était à la transmission, à la confession, à l'honneur d'être de ceux à qui l'aïeul confiait, confiant.
La voix dit simplement, avec la naïveté d'un enfant cherchant encore le sens des rails, "je crois que dans ma vie, j'ai été trop tendre".
Exprimé comme un regret, entendu comme une impossibilité à faire autrement, ressenti comme un soulagement. Les deux "trop tendres" qui recevaient l'aveu, n'eurent aucun besoin de temps, ni de détours, pour que la parole fasse écho. Ils la prirent "dans le coeur" avec l'effet de ce qu'on prend "dans la gueule". Ils furent bien inspirés de se taire. Écouter, écouter et rien d'autre. Alimenter, à cette heure-là de la presque nuit, eût été sacrilège.

"Trop tendre".

La graine était plantée. Ce "trop tendre"-là, fit son travail. Il prit la forme du roseau bienveillant qui se tord pour faire place à l'Autre, et qui, parfois, par excès, fait courbette sans voir que le passant profite. Et l'excès, par habitude, a pris le pli. La tendresse de l'échine a ses vertus certes, mais, ses rhumatismes aussi. L'Autre ne sait rien des coeurs purs, et les coeurs purs n'en savent rien. Le tendre n'est pas mou, il est tendre. Fatalité ou camp choisi, la tendresse est éponge, mais, l'eau qu'on tort n'en pense pas moins.
Tendre. Tendre vers l'Autre. Envers l'Autre. Tendre la main, le coeur, pour ne pas prendre le glaive, malgré les glaives.
Trop. De peur de ne pas l'être assez sans doute. Mais, qui oserait lui en vouloir ? A part lui-même.

Il est 11 heures 30 maintenant aux pendules de tous les temps, et, le chant du Papy sur celui de la porte a cheminé dans les esprits. Le message était-il un conseil ? Ou seulement un regret ? Être tendre, c'est être trop tendre, sinon à quoi bon ? Alors, soyons trop tendres, il en restera cet instant de poésie, de moment humain et précieux, où une épaule nonagénaire, se pose sur le chant d'une porte pour ouvrir son coeur, en bousculer d'autres, et, partager son rabiot.

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Commentaires
L
S'il n'y a pas de vécu dans ces phrases et ces images...<br /> <br /> La poésie ne parle qu'à l'humain dans l'homme, n'est-ce pas ?
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