On oubliera nos morts

On oubliera nos morts. Comme on oublie les vivants.
A peine le dos tourné, on se redressera l'orgueil, on présentera le torse à la première décoration qui fait des guili-guilis dans le ventre et on enflera du melon.
L'important, c'est le projecteur, pas l'ombre qu'il fait. La parade réchauffe et le show go on.
On reprendra nos réflexes possessifs et notre prurit consommateur, la tristesse du vernis et le désir festif.
On devait changer le monde et on poussa des caddies, boucliers protecteurs. On devait se changer soi et on fuit l'introspection, tempête redoutée.
On a fait semblant de s'échapper les poings dans des poches crevées et on est revenu faire sa rangée de parpaings d'un monde en carton.
S'il n'était qu'inoffensif carton, on le doucherait une bonne fois pour toutes, lui rendant sa vulgaire pâte. Mais, son modèle s'exhibe aux éclairs d'une photocopieuse emballée. Il se reproduit automatiquement, aidé en cela par des bourrins, zélés par paresse et serviles par lâcheté.
On oubliera de faire le point, le bilan ou l'audit. On accélérera, tête baissée. Les plus lucides seront sacrifiés et on mettra de l'huile pour faire tourner les rouages d'une machine sans âge et sans surprises. 
La carotte a de l'avenir et l'esclavagiste-esclave aussi.
Dociles répétiteurs qui font où on leur dit. Comble du cynisme, on leur laissera une plage de révolte leur faisant croire qu'ils sont rebelles. Dégonflées, les velléités de chambardement. Dégonflés ! Ferrés, les moutons. Prisonniers à perpète.
On oubliera nos morts. Comme on oublia ceux des autres.