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Singulier Pluriel
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25 mars 2016

Road trip papy (ou L'adieu à Doué)

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J'aime les voyages quand ils sont mission. Celle-ci avait des parfums d'antichambre d'ailleurs. Un road-trip se préparait, d'un far-west hexagonal triste comme l'hiver à des rivages ensoleillés, au seuil du printemps. Il s'agissait de tendre un élastique autoroutier pour accrocher un vieil homme trop tendre à une côte d'azur et de retrouvailles, de familiarité et de mémoire. Un clair logis l'attendait pour poursuivre un chemin plus doux et pourtant plus solitaire, sa compagne depuis plus de sept décennies était partie un mois plus tôt, en cendres, en paix. L'hiver angevin asséchait l'ancien d'ennui et de silence, et séchait ses larmes de soulagement et de souvenirs. Le vide comme horizon entre plus vieux que lui à tout âge, plus rabougris, plus assoupis, voilait chaque jour des yeux fatigués.
Le reste de sa vie concentré sur quatre roues et un coffre de toit filait vers le sud, vers l'été, vers la paix. Accompagné par deux coeurs purs, sa canne et son esprit, il glissait tranquillement sur la carte d'une France qu'il avait tricoté dans son passé, caravane au derrière, par mille chemins, maille par maille. Il a gardé, par-devers lui, le petit carnet de récits des voyages et une carte routière magnifique sur laquelle le crayon a rappelé le tracé. Précisément. Méticuleusement. Sans aucune erreur. Tous ceux qui le connaissent en mettraient leur main à couper.
La tête de l'ancêtre carbure au super vitaminé, quand ses jambes désobéissent, n'en faisant qu'à leur tête à elles. La canne a sa fonction, rassurante, sans plus. La main douce à la fine pellicule presque centenaire, bleutée par endroits, agrippe la portière ou le bras du voisin comme planche de salut. Les ongles soignés s'enfoncent par erreur dans le biceps stoïque et salvateur.
Le patriarche est sage et peu bavard. L'oeil pourtant voilé et protégé scanne les panneaux autoroutiers. Ceux-ci réveillent de vieilles anecdotes de Dauphines et de Coccinelles, qui peuvent avoir plus de soixante ans. Alors, le silence est troublé par le partage. On ouvre les écoutilles pour s'abreuver à la source d'histoire. Et elle est belle la source. Et elle est fraîche l'histoire.
Un petit mouchoir en papier protège l'oreille droite du frottement de la branche de lunettes. Un autre habite la poche droite du pantalon. Il aura sa fonction tout à l'heure. Les trottoirs des aires d'autoroute sont des marches de géant. On les anticipe, on les décrit, on les évalue. Tout devient, même pour l'accompagnateur, un parcours du combattant. Tous les obstacles sont franchis fièrement.
C'est l'heure du pipi. La canne est confiée. Et c'est la position virile ancrée en l'homme depuis des siècles qui, par automatisme, fait comme il a toujours fait. Pisser debout redresse les épaules des hommes et les plantent sur leurs guiboles avec fierté. A tout âge. On est derrière, on imagine le jeu des mains. Puis intervient le mouchoir de la poche droite. Fermeture. Demi-tour. Canne rendue. Bras agrippé. Ongles plantés. Autour, les autres pisseurs-debout vous regardent , un sourire doux au coin des lèvres, comme on regarde une jeune maman et son nourrisson. Attendris.
L'appétit et le goût perdus pour cause de repas dégueulasses dans une maison de retraite du far-west, reviennent au galop dans un Buffalo Grill d'autoroute. Fichtre ! Le vieil homme a de la fourchette. Et de la mémoire. Car là encore la machine à remonter le temps s'active. Les restaurants d'antan sont détaillés par le menu, au sens propre. Le goût des plats mérite une note et réveille les papilles un demi-siècle plus tard.
Peu exigeant, suiveur et conciliant, il facilite le voyage de ses partenaires. Il se sent en confiance. On le sait en conscience de ce qu'on fait pour lui. La route est belle !
La route est belle... et l'hôtel est pourri. Il n'en a cure, il s'adapte. Il fait froid ? Il fait froid. Il fait vent ? Il fait vent. C'est tout. On ferme bien le blouson sans manches, on partage son écharpe, on est avec lui, en symbiose.
C'est bientôt la ligne d'arrivée. On s'approche d'un autre lieu, une villa commune et singulière, à flanc d'un coteau calme propice à écouter dignement le temps passer. On aurait accompagné son enfant dans une nouvelle école qu'on ne se sentirait pas différent. On rassure et on s'inquiète. On joue la détente et on voudrait être dans sa tête. Lui, a décidé de nous rassurer aussi. Tout est bien. Ça va. Et les pensées jouent au squash sous le crâne transparent.
On a éloigné nos bras. Il a empoigné le déambulateur. On a tourné les talons. Il a exploré les lieux. On a accompli la mission. Il va respirer mieux.
Élastique tendu. 1 000 kilomètres de bitume ont passé. Passeurs et témoins du passage, nous l'avons accompagné avec bonheur. Une intelligence vieille et vive nous a guidés de péage en pas d'âge. Nous aurions abandonné un acariâtre sur un parking sans scrupules. Mais, notre vieux à nous est adorable. Nous l'aurions véhiculé au bout du monde, guidés par sa lumière intérieure, son phare away.

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