Les vieux
J'ai mangé le village. J'ai bu le lac. Et goûté l'été en plein hiver.
Nous ne visons plus l'éternel, nous nous contentons d'éclaircies. C'est une leçon de sagesse imposée. Tant mieux si les euphories se calment et que le simple nous enchante. Nous tiendrons la longueur à petites respirations, à pas lents, incertains et mesurés. Les sprinters ont vécu ou sont allés se faire voir ailleurs. Nous sommes les marathoniens pas pressés de voir la ligne d'arrivée. Une bougie soufflée et nous serons satisfaits d'avoir encore arraché celle-là. Les dessins de nos petits-enfants baliseront nos promenades sur le sentier sec et les feuilles mortes. Heureux un instant, puis un autre. Plus besoin d'horizon large, nos pieds feront l'affaire et le tapis de nos bonheurs. Dans une boîte à chaussures, lunettes chaussées, nous irons voyager dans le temps du noir et blanc, nous raconterons des anecdotes imprimées dans nos cerveaux et personne ne les partagera avec nous. Qu'importe, elles nous transporteront et caresseront nos sens, dans le bon sens. C'est notre lot. Pourvu que les maladies nous laissent tranquilles, nous saurons prendre ce qui vient avec l'acceptation du croyant devant la grâce de Dieu. Humbles passagers du dernier bus de la journée, nous aurons les yeux fixes sur le paysage qui défile. Résignés vainqueurs, nous aurons le privilège de savoir apprécier la miette et l'étincelle qui éclairent ne serait-ce qu'une nano-seconde. Et, enfin, paysage nous-mêmes, nous offrirons aux plus exaltés des pauses qui calmeront leur excitation.
Puis, quand l'heure aura des parfums plus doux, nous comprendrons, qu'il est temps, à pas feutrés, sans déranger, de prendre congé. Riches d'une vie passée, ni réussie, ni ratée, nous aurons fait notre part, déposé quelques fleurs, arraché quelques épines et planté quelques graines. Maillon rouillé, nous laisserons la place. Nos enfants sauront tresser d'autres lianes pour offrir d'autres villages et d'autres lacs à ceux qui restent. Que la Providence ne nous fasse pas nous accrocher aux branches et que la dignité nous guide, tranquilles et apaisés, dans notre dernier lieu de vie, la mémoire des vivants.