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Singulier Pluriel
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5 mars 2021

Respirer

23 février 2019 (87)

J'aimerais écrire comme on caresse, être la main du vent, d'un vent léger, bise apaisante. J'aimerais peindre des paysages aux horizons inspirants, que mon pinceau glisse de gauche à droite au ralenti. Encore comme une caresse. J'aimerais flâner, effleurer le sol de pas tranquilles, langoureux, de ceux qui ont tout le temps. J'aimerais penser moins, ressentir, être l'objet d'ambiances, accueillant le monde. J'aimerais me couler dans l'air, ballot confiant de suivre le cours de l'eau quels que soient les obstacles pour finir par enrichir l'océan. J'aimerais moins d'angles, plus de vagues, être ondulations, danse, galbe et oscillations.

D'autres fois, j'aimerais être primaire, courir les apéros et les tribunes de stades, kiffer un langage populaire, taper sur les épaules et tutoyer d'entrée. J'aimerais rire grassement, ricaner en groupe et goûter le festif. J'aimerais avoir des réactions animales, des pensées de groupe et des vulgarités de troupe, être la foule à moi tout seul, beugler mes certitudes et avoir toujours raison. J'aimerais, plus d'une heure, être spontané et con à la fois.

Mais je marche vite et puissamment, je peins en fulgurance et j'écris en conviction. Je voisine avec le contraste. Un minuscule bobo, c'est la mort qui se profile et un petit bonheur, c'est le nirvana. On dirait un combat. J'ai la tempérance intellectuelle et le corps excessif, la réflexion sage et l'énergie bouillonnante. Il m'arrive d'évoquer le recul et la sérénité, le retrait et l'observation, mais je devine qu'on devine la posture. La passion se cache derrière. Même éteinte, elle sévit. 

Que ce serait reposant d'être un autre ! Que la vie serait douce ou facile. Plus besoin d'anticiper, d'envisager toutes les possibilités, de faire attention aux autres, de mettre toute son attention à être écologique, à s'attacher à mettre en accord actions et principes, valeurs et comportements. La vie, quoi ! Plutôt que la mesure et l'attention permanente. Plutôt que la pression de toujours envisager l'effet de la cause avant de bouger le petit doigt. 

Mais on ne choisit pas d'avoir une vie intérieure développée, un petit vélo qui tourne en permanence, un questionnement incessant. On ne choisit pas d'être sérieux et raisonnable. Aux yeux de certains, cela en devient maladif et ils chercheront dans la littérature psychologique tous les termes censés aider. Entre lâcher prise et relaxation, distance et instant présent, tout sera prétexte à décrocher de cette machinerie oppressante et épuisante, de ces roues crantées qui s'actionnent mutuellement formant cercle vicieux. D'autres, moins fins, essaieront de secouer, de proposer de péter un bon coup, de ne pas se prendre la tête. Les concernés, eux, sauront, voudront, feront semblant puis retourneront à leurs études. Leur intention n'est pas de se torturer. Elle est la même que celle de tous les autres : au minimum faire bien, voire faire le bien. C'est leur condition psycho-pathologique et elle en vaut d'autres. Leur seul malheur, c'est de croire encore que la vie est une quête de la vérité quand la vie se résume à respirer. Qui nous demande d'en faire quelque chose ou de laisser une trace ? Il suffit de respirer. Même si parfois, on manque d'air. 

Alors, jouisseurs insouciants, passifs indolents et stakhanovistes cérébraux, partisans de l'évitement, militants du plaisir ou architectes de la perfection, respirons, contentons-nous de respirer.

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