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14 mars 2021

J'ai regardé le vent

14 octobre 2012 (28)

Qu'as-tu fait aujourd'hui ? J'ai regardé le vent. Mais on ne regarde pas le vent, on ne voit que les effets du vent. Non, non, moi, j'ai regardé le vent. Comme on voit l'amour, celui dont on dit qu'il n'existe pas sans ses manifestations. Je visualise l'abstrait, je pourrais presque le toucher tant il prend de place chez moi, sur ma peau, dans mon esprit, devant mes yeux. Le reste, le commun, m'échappe. Je peux passer devant des étals, des jardins, des tables garnies sans rien fixer comme image. C'est une disposition handicapante. Car il est difficile de partager du ressenti, de l'émotion, une ambiance quand c'est si simple de nommer une table, un broc d'eau ou une serviette de toilette, d'en décrire la couleur, la forme et la fonction. L'autre aura vu plus ou moins la même chose et nous pourrons communiquer ou communier un instant, refaire le tableau ensemble. Mais retrouver à plusieurs l'indicible, le vague, ce qui n'est que dans l'air, c'est impossible.

Alors, j'ai vu le vent quand tu n'as vu que les arbres se plier, la toile du jardin s'affoler et le portail claquer. J'ai vu le vent au château de Combourg chez Chateaubriand. Encore une fois, j'ai lu les choses. Par les mots. Et cela m'a suffi. Les mots. Les mots. Toujours les mots. Je me demande même si je n'affirme pas avoir vu le vent parce que je peux épeler ses lettres. Peut-être même l'inventé-je. Alors, toute existence ne serait que par le mot qui la nomme. La tempête non-écrite virtuellement dans le cerveau ne ferait aucun dégât quand la transcription du mot ouragan dévasterait tout.

Vivre avec les mots est une belle aventure. Ne vivre que par les mots est un supplice. C'est un monde parallèle, irréel. Certes poétique, mais si détaché de la réalité qu'il isole. L'amour d'un mot va, parfois, jusqu'à être étranger à sa signification, son graphisme suffit à exciter. Ne voir dans nom commun que la possibilité de l'écrire dans un seul interligne et en ressentir une joie immense, est totalement déraisonné. Pendant ce temps-là, d'autres vivent. Être au sommet de la jouissance devant antépénultième et idoine ne donne aucune clé pour bien vivre et aucun apaisement, à peine une infime évolution. Alors que regarder une armoire et savoir que c'en est une, même si on l'amputait d'une lettre ou deux, savoir qu'on peut y ranger des objets et prendre plaisir à lui trouver, outre une utilité, une place dans la pièce, c'est autrement plus efficace et moins consommateur d'énergie que penser et écrire dans son esprit le mot armoire, qui comme nom commun ne dépasse de nulle part. Ah, ces pragmatiques ne connaissent pas leur bonheur de ne pas écrire tiroir avec plusieurs i à chaque fois qu'ils en ouvrent un. Tiiiiiiiiroir, car il faut bien étirer le mouvement.

Je crois bien que je n'ai pas plus vu le vent que l'amour, je les ai lus, tout au plus. Qu'importe ! Ils m'ont parlé et je les ai entendus. Je les ai transcrits, compris et intégrés. J'ai senti, par lettres interposées, l'essentiel de ce qu'ils représentent. Les sens ont fait le travail par des chemins détournés et non-accessibles à tous. Je les range dans mon armoire sensorielle qui ouvrira sa porte le jour où les mots seront prononcés.

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