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7 novembre 2021

La reine des "madeleines"

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Comme tout le monde, j'ai mes madeleines. Celles qui s'invitent et nous transportent instantanément ailleurs, dans nos boites à souvenirs. Là où personne ne peut aller pour nous. Là où les sensations ne pourront être partagées. Même expliquées, décortiquées, elles n'atteindront jamais la sensibilité de l'Autre. Tout au plus, elles réveilleront chez lui, un autre souvenir, une autre madeleine qu'il sera le seul à pouvoir goûter intensément. 

Comme chacun sait, c'est l'olfaction qui remporte la palme parmi les sens. Son centre étant situé très proche de la cavité nasale. Il s'y imprime des choses qui nous dépassent. Il nous est difficile de déclencher le souvenir autrement qu'en invitant l'odeur. L'intellect est impuissant à réveiller ce sublime-là.

Un vent de jasmin me transporte en Tunisie, et l'odeur des égouts, dans ma ville natale. Le parfum Trésor m'a rendue inoubliable une collègue de travail d'il y a trente ans et une senteur âcre m'envoie chez mon oncle en Italie, dans la pièce où il entreposait des victuailles. C'est un jeu infini, dont nous ne connaissons pas tout. Demain, un autre déclencheur pourra nous faire voyager dans un passé que nous avions totalement occulté. C'est sans limite de temps et sans limite d'intensité. On n'est pas à l'abri d'un sublime bonheur.

Mais j'ai une reine des madeleines. Indétrônable, elle se présente rarement et ne déçoit jamais : j'ai nommé l'odeur de crayon taillé. Je l'ai retrouvée hier, en fouillant dans les fournitures de bureau. Elle m'a paralysé un instant et tout est venu d'un coup. Je me revois enfouissant ma tête dans mon cartable dans la classe de CE2 de Madame Quilcaille. Au fond du cartable, il y avait des dentelles de crayon créées par un artiste incomparable, le taille-crayon, celui en métal avec un petit et un grand trou, sans réservoir. Il existe encore de nos jours. Amical compagnon, il m'a offert des moments d'extase et a ancré en moi, des relents de félicité extrême. Ce n'est pas tout. Dès que je sens cette odeur, je prends le car avec mon père. J'ai 7 ans. Nous partons à la ville, à Saint-Germain-en-Laye, pour acheter les fournitures scolaires de début d'année. Je suis bien habillé et je lui tiens la main. Je vole. Le voyage, les cahiers neufs, la sortie avec mon père, tout est rare, exceptionnel. Je goûte de tout mon être. Encore aujourd'hui, je goûte. Avec quelque émotion dans le ventre et quelque nostalgie, bien sûr. Mais tout est là. Mon père est de nouveau vivant et moi encore enfant. Le car du retour est un jour de fête et le crayon taillé un paradis retrouvé.

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