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Singulier Pluriel
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23 décembre 2022

L'or du temps

16 septembre 2019 (8)

Non mais tu te rends compte ? Tu as 65 ans et, inlassablement, depuis toujours, te reviennent ces obsessions de justice, de vérité, d'amour universel. Tu ne peux pas te calmer ? Te rendre à l'évidence ? Tu saoules tout le monde avec tes accents révolutionnaires, anarchistes, et pour tout dire, un peu cathos. Tu en as usé quelques-uns, quelques-unes, à tout remettre en question tout le temps, le travail, l'argent, les traditions, les conventions, et autres conformismes embourgeoisés. Et tu ne t'es pas fatigué toi-même à repasser toujours au même endroit ? Tu vois bien que ça ne marche pas ton histoire. Le monde tourne sans toi. Tu es décalé et tu n'as pas voulu "rentrer dans le rang".

Tiens, "rentrer dans le rang", c'est ce que m'avait écrit une amie sur la page de garde d'un livre de Léo Ferré en me le rendant, il y a plus de quarante ans. Il me fallait comprendre que le combat serait rude dans la marge, que se fondre dans le moule, suivre le mouvement serait plus reposant, plus confortable. Je suis resté sur le fil du rang, à essayer des incartades en permanence. Enfin, suivant les humeurs et les événements. Trop bien élevé pour foutre le bordel, furtif, je montrais un visage d'intégré pendant que le volcan grouillait à l'intérieur, que le bouillon de lave frappait à la porte pour tout emporter sur son passage. Refaire le monde. Pas moins. 

C'est donc le temps de l'adolescence qui ne m'a pas quitté, moi qu'on disait mature, très jeune. Responsable, mais utopiste. Sérieux, mais idéaliste. Pas assez téméraire pour faire la révolution, pour vivre en marginal, et pas assez docile et conforme pour intégrer le rang et le troupeau. Je cherchais, et malgré une vie remplie, de constructions et de doutes, je cherche encore l'Or du temps. (C'était une chanson de Charles Dumont, l'idéaliste qui dialogue avec François Périer, le raisonnable)

Je n'invente rien. Je ressasse. Le poète s'use à labourer le merveilleux pendant que l'ambitieux fait des affaires. Bien sûr, je suis mieux dans mon modeste chez moi que dans des palais sans profondeur, mieux dans mes idéaux que dans de prosaïques possessions, mieux dans mon volcan intérieur que sous les feux d'artifices dérisoires. Le seul regret d'une vie décalée est celui de ne pas être compris, de devoir tenter de convaincre de la supériorité des idées face au matériel, de la force de l'intériorité, de la puissance des mots, de la foi en l'humain. Pendant ce temps, le capitalisme fait consommer du futile et les non-poètes suivent le torrent. Ils sont rentrés dans le rang depuis longtemps. Je suis un retraité incorrigible. Vieil anar déguisé en bourgeois, je vis dans une grotte en pleine lumière, caché derrière une façade, passe-muraille pour ne pas déranger les bourgeois. Je suis un militant silencieux, qui croit encore qu'on peut réveiller les consciences, mais qui ne fait rien pour. Je mourrai décalé, regrettant que la société ait bouffé la vie. On ne se refait pas. On ne choisit pas.

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