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Singulier Pluriel

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5 janvier 2024

Lettre à mon ami Louis-Paul

Mon ami, je vais me servir de toi pour dévoiler ici mes résolutions de novembre dernier. C'était ma nouvelle année à moi.

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Tu te souviens ? Oui, bien sûr, tu te souviens. Tu m'avais conseillé une lecture. Tu avais fait mouche. Nous en avons parlé ensemble depuis. J'avais adoré. Il s'agissait, je le dis pour les autres, du livre de Charles Wright, "Le chemin des estives". J'en ai profité pour relire "Marcher, méditer" de Michel Jourdan et Jacques Vigne et "Marcher, une philosophie" de Frédéric Gros. L'un des deux était aussi un de tes conseils.

Où je veux en venir ? Voilà, cela a déclenché, plutôt réveillé chez moi, une vieille envie, celle d'aller marcher sur le Chemin de Compostelle. Une demi-seconde de réflexion, un échange avec ma compagne (ouverte et généreuse) et la décision était prise. Je partirai en faire un bout en juin prochain. Du Puy-en-Velay à Cahors. 350 km en 16 étapes. Les gîtes sont réservés et mon entrainement a débuté depuis novembre. Je le continuerai sans doute en 2025.

Vois-tu, je veux partir seul. Car tu t'en doutes, je n'y suis pas attiré que par la performance sportive. Je veux aussi me confronter à mon intériorité, tenter de percer le mystère de cette spiritualité qui m'habite depuis toujours et de mon aversion pour la religion. Aussi, j'ai choisi de faire le chemin, seul, sac à dos et dortoir commun, voire couvent et monastère. Je dis cela, car aujourd'hui, certains font transporter leurs bagages et dorment à l'hôtel tous les soirs. Chacun son chemin, je ne juge pas.

Je m'affaire donc à la préparation pratique du matériel et de l'intendance. C'est assez intéressant et motivant. Ce faisant, on a déjà un pied sur le Chemin. Je randonne entre 25 et 30 km par semaine en corsant chaque fois un peu plus la difficulté. Cela fait entre 5 et 6 heures de sortie. Bien sûr, sportivement, je ne pars pas de rien. J'ai souvent randonné en montagne dans ma vie et mon expérience de la course à pied m'aide bien. Bref, je suis prêt et motivé.

De fil en aiguille, dans la discussion avec ma compagne, je me suis demandé s'il me restait des choses en suspens qu'il me fallait déclencher rapidement (vu mon grand âge, un smiley serait le bienvenu). Eh bien, résolution numéro 2, je retourne dans ma ville natale en vacances en avril. Je n'y ai pas mis les pieds depuis vingt-cinq ans. Résolution numéro 3 : Je prends des cours d'espagnol depuis deux mois. C'est une langue qui m'a toujours plu. Et elle me servira pour ma deuxième partie du Chemin.

Voilà, je crois que j'ai dit l'essentiel. Te remercier pour l'effet déclencheur est inutile, ça s'appelle l'amitié, c'est tout. Porte-toi bien ami. Je t'embrasse. Je garde une place pour "Le chemin des estives" dans mon sac à dos.

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31 décembre 2023

Lectures 2023

Janvier

Le mur invisible  - Marlen Haushofer

Lune de miel  - François Cavanna

Le poids du papillon  - Erri De Luca

Les taiseux  - Jean-Louis Ezine

La treizième heure  - Emmanuelle Bayamack-Tam

Naissance d'un pont  - Maylis de Kerangal

Usufruit  - Nicolas Combet

Le trottoir au soleil  - Philippe Delerm

Paris-Briançon  - Philippe Besson

 

Février

L'insomnie des étoiles  - Marc Dugain

L'enfant de Noé  - Eric-Emmanuel Schmitt

Appelez-moi par mon prénom  - Nina Bouraoui

Restons groupés  - Etienne Rigal

Retourner à la mer – Raphaël Haroche

La définition du bonheur  - Catherine Cusset

La boîte noire  - Tonino Benacquista

Marcher à Kerguelen  - François Garde

La noce d'Anna  - Nathacha Appanah

La petite fille et la cigarette  - Benoît Duteurtre

 

Mars

Malavita  - Tonino Benacquista

Terrasse à Rome  - Pascal Quignard

Le tiers temps  - Maylis Besserie

Nous qui restons vivants  - David Rochefort

Frère d'âme  - David Diop

La fièvre  - Aude Lancelin

 

Avril

L'horizon  - Patrick Modiano

Même pas mort  - François d'Epenoux

Tsunami  - Marc Dugain

Serge  - Yasmina Reza

Rien ne t'appartient  - Nathacha Appanah

Les roses fauves  - Carole Martinez

 

Mai

Jamais contre, d'abord (La fin de la plainte/Il suffit d'un geste/Savoir attendre )  - François Roustang

Le secret de Socrate pour changer la vie  - François Roustang

Une petite robe de fête  - Christian Bobin

Le miracle Spinoza  - Frédéric Lenoir

 

Juin

Vivre vite  - Brigitte Giraud

Béni soit le père  - Rosa Ventrella

La petite fille de Monsieur Minh - Philippe Claudel

Contes impatients d'être vécus  - Henri Gougaud

Le chercheur d'or  - J.M.G. Le Clézio

 

Juillet

Gema - Milena Busquets

L'amour et les forêts  - Éric Reinhardt

Existence  - Éric Reinhardt

Étoile errante  - J.M.G Le Clézio

L'emprise  - Marc Dugain

 

Août

Quinquennat  - Marc Dugain

Ultime partie  - Marc Dugain

 

Septembre

Le chemin des estives  - Charles Wright

Les silences des pères  - Rachid Benzine

La clé des champs  - André Comte-Sponville

L'imitation de Jésus-Christ

 

Octobre

Ceux que je suis  - Olivier Dorchamps

Avers – J.M.G Le Clézio

Le fils de l'homme  - Jean-Baptiste Del Amo

 

Novembre

Marcher, méditer  - Michel Jourdan /Jacques Vigne

Marcher, une philosophie  - Frédéric Gros

La chambre des officiers  - Marc Dugain

 

Décembre

L'art difficile de ne presque rien faire  - Denis Grozdanovitch

Périgord vert – Armand Farrachi

La porte des enfers – Laurent Gaudé

Les insolents  - Ann Scott

24 septembre 2023

Compère, qu'as-tu vu ?

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J'ai passé de bonnes vacances. C'est une phrase banale et sans importance si on la laisse sans suite. Ce n'est pas mon intention. Au contraire, je veux m'expliquer. Me revient en mémoire, le refrain d'une comptine : "Compère qu'as-tu vu ?". Je pourrais lister tout ce que j'ai vu. Je vais me contenter de tirer quelques fils rouges ou quelques ambiances.

La satisfaction que j'ai tiré de mes vacances vient surtout du fait d'un voyage itinérant pendant lequel nous avons rencontré des gens (amis, famille) très différents. Six lieux pour trois semaines, c'est enrichissant. Des générations différentes (de 6 à 91 ans). Et des profils, comme on dit aujourd'hui, parfois aux antipodes. C'était un défi et un plaisir de se contorsionner pour s'adapter à chacun. Il ne s'agissait pas de jouer les caméléons, mais de comprendre les situations et les points de vue. Disons que l'idée de départ, c'était l'ouverture d'esprit. Bref, nous avons pu discuter, échanger et explorer la vie des autres. C'est mon grand plaisir, écouter les points de vue, accueillir les sentiments et recevoir les projets de chacun. Dans ce cas, il ne faut pas être avare et accepter de se livrer aussi. J'ai donc passé des vacances "intéressantes", loin du divertissement ou de l'amusement que recherchent d'autres. Tant pis pour eux.

La première chose qui saute aux yeux après ces rencontres, c'est qu'il n'y a pas deux personnes qui bouffent la même chose. Même dans mon couple, on ne mange pas pareil. Des végans aux viandards, on a tous les degrés : des adeptes des sucres lents, des anti-sucres, des qui se chauffent la rate avant le repas, des qui mangent les fruits avant le repas, et d'autres après, des plutôt dessert et d'autres surtout pas, café, déca, tisane au gingembre, salé au petit déj ou classique. Compère qu'as-tu vu ? J'ai vu tout ça. Un aréopage de personnages si différents. On aurait dit la France circonscrite à 20 personnes. J'ajoute que chacun est sûr de ses choix, qu'il a toutes les cautions scientifiques qui lui permettent de dire que c'est ainsi qu'il faut se nourrir, jeûner ou pas, filtrer ou pas, se complémenter ou pas, boire pendant ou après le repas. Evidemment, chacun parle de convictions et non de croyances, de bien-être et non d'idéologie. Pour ma part, je respecte tout le monde et n'en fais qu'à ma tête.

Compère qu'as-tu vu ? J'ai vu une enfant de 8 ans avec une puissance et une douceur dans le regard qui vous en mettait plein la vue. Impressionnante, 8 ans vous dis-je. Une voix douce et claire, des propos d'une maturité incroyable et un déplacement de fée. Une fée, voilà tout, avec quelques vies derrière elle peut-être. J'ai vu un complotiste assumé. Là, tout de même, il devenait difficile de discuter et d'argumenter. "Nous les complotistes, on se fout tout le temps de notre gueule, mais on a toujours raison". Sinon, j'ai vu des chercheurs de vérités et pèlerins en chemin, des nonagénaires résistants et des esprits exceptionnels, des amateurs d'argent et des collapsologues. Dieu merci, je n'ai pas rencontré de climato-sceptiques. C'est un sujet où chacun semblait avoir compris que dans le vaisseau Terre, nous avions un problème. Mais beaucoup semblent impuissants ou se sentent impuissants. Il y a ceux qui pensent en faire assez, ceux qui, fatalistes, décident de "vivre" en attendant la catastrophe, ceux qui font à la marge en se disant que c'est déjà ça, ceux, dont je suis, qui culpabilisent de ne pas changer radicalement de mode de vie. Et puis, j'en ai vu, ceux qui ont passé le pas, qui cultivent ce qu'ils mangent, consomment de moins en moins de produits manufacturés, qui ont compris, dirais-je, et qui ont le courage de faire, j'en ai rencontré trois et c'est de bon augure. Il y a de l'espoir.

J'ai donc passé de bonnes vacances. Enrichissantes et éclairantes.

18 juillet 2023

Je fais gaffe

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Je viens de racheter des chaussures de course. C'est bien la preuve que je réclame de courir. Mais, je le dis sans détours, j'ai peur. Peur de retomber dans l'addiction. Alors, j'y vais sur la pointe des pieds si je puis dire. J'avance en freinant, les épaules en arrière. Je tempère mes élans, je cherche la frontière entre bien-être et euphorie, entre plaisir et drogue. 

Ma traversée du désert a duré six ans. Six longues années de fausses reprises, de questionnements incessants, de rejet et de refus de comprendre le manque. La semaine qui a suivi mon seizième marathon (en 8 ans) je me suis écroulé, tous les voyants au rouge. J'avais trop demandé à mon corps pendant longtemps et les endorphines me maintenaient et m'aveuglaient. Toujours plus. Sans écouter les blessures, les coups de mou, les amis. Le corps finit par régler ses comptes et a fini par régler le mien. Certes une dépression est souvent multi-factorielle, mais ce pan-là du problème avait la large place. Les savants appellent cette addiction, la bigorexie ; ça fait tout de suite sérieux. Mais comment ouvrir les yeux aux adeptes d'une secte par le raisonnement ? C'est l'histoire du mur qu'il faut se prendre pour comprendre. Ca va, j'ai mis du temps, j'ai compris.

Aussi, je vais suivre les conseils de ma seconde thérapeute qui me propose de reprendre la course à pied sans objectifs, sans performances et sans excès. La première m'avait fait tout arrêter. Elles ont peut-être raison toutes les deux. Chaque chose en son temps. Tiens, le temps justement. Ce fameux chrono que l'on scrute, que l'on compare au précédent, qu'on mesure sous toutes les coutures. Allez hop, à la poubelle le chrono. A la poubelle les programmes, les sorties quoi qu'il en coûte par tous les temps. Juste l'envie et le bien-être qui s'ensuit. 

J'ai demandé des conseils un ami pour ma reprise. Je ne le suis pas dans ses objectifs, il est un peu trop accroc pour moi. Mais il m'a appris une chose essentielle que j'essaie de mettre en application avec difficulté : courir lentement. Cela me change la vie, enfin, mon ancienne vie. Par son intermédiaire, j'ai découvert sur les réseaux sociaux un groupe de coureurs dans nos âges qui partagent leurs expériences de course. Certes j'y glane beaucoup d'informations pertinentes, mais, je vois surtout des coureurs seniors allumés (ils détestent se faire raisonner). Ils ont, à pas d'âge, des performances incroyables et sont adeptes du dépassement de soi. J'en suis admiratif. Et je m'en tiens éloigné. La peur encore, la peur de replonger. Je l'ai payé assez cher. Je veux préserver ma personne et me maintenir en forme. Pas plus. 

Ai-je raison ? Ai-je tort ? Je n'en sais rien. Je veux juste user mes nouvelles chaussures dans de bonnes conditions. Mon masochisme passé ne me sied plus. Je vais aller, d'un train de sénateur, vers des chemins plus doux. Les fortes chaleurs actuelles n'incitent pas à courir, alors je ne cours pas. En d'autres temps, j'aurais bravé les éléments pensant que les barrières étaient faites pour les autres et que la volonté pouvait tout. J'étais immortel. Depuis que j'ai frôlé le précipice, je fais gaffe. Je fais gaffe.

6 février 2023

En rade

17 septembre 2020 (1)

J'ai un ami depuis quarante-cinq ans qui, aujourd'hui, est en rade. Depuis quelques années déjà. Il a déposé sa vieille carcasse au bord de la Manche dans le Nord-Finistère et depuis, c'est marée basse. Il est à ce point où il lui semble trop tard pour construire quelque chose de nouveau, pour faire simplement des projets, et trop tôt pour commencer à creuser sa tombe. Il fait l'expérience de la déchéance. Et le pire, c'est la conscience qu'il en a. Quelques fulgurances dans son vocabulaire nous rappellent qu'il était un taureau puissant et vaillant. Mais, à la seconde suivante, il chausse ses lunettes sombres qui voient tout en gris, gris foncé. C'était mieux avant, le monde va à vau-l'eau, les gens sont méchants, etc. etc. Jusqu'à vider le trop-plein de regrets et de ressentiment. Cela ressemble au début de la fin. Elle sera lente si l'immobilisme l'emporte ou violente si les idées noires passent à l'acte.

Du bord de ma Méditerranée, je tente de pousser, par une conversation téléphonique, un peu d'eau vers la Manche, pour que revienne la marée haute, comme devrait être le cycle naturel. Car pour l'heure, l'image est fixe. La barque est échouée, mâts ballants, cul au sec, moteur grippé. De loin, je ne peux rien faire. Que pourrais-je faire de près ? Probablement, pas mieux. Partager un verre, marcher à deux au bord de la falaise et refaire le monde, écouter. Pas plus sans doute. Je n'ai pas l'allumette qui rallume la vie.

C'était un bagarreur. Il passait sa vie à se battre contre elle. Le combat. La réussite à l'arrache. Un lion dans la savane. Un animal en survie. J'ai toujours hésité à le qualifier. Je disais cow-boy un jour, indien le lendemain, chercheur d'or sans aucun doute. Parti à la conquête de l'Ouest, il n'a plus l'agilité pour monter son cheval. Alors, il sort ses boules de pétanque, pour tuer le temps et s'inventer une vie sociale. Et il râle. Mais qu'est-ce qu'il râle ! Contre le gouvernement, le numérique, la modernité en général. Contre sa compagne qui lui a perdu son cochonnet. Contre la vie qui lui a volé ses illusions, et ses certitudes surtout. Il s'était imaginé, en bout de table, patriarche d'une grande famille, vieux sage attendant les demandes de conseils de sa progéniture et déversant, la voix grave, quelques aphorismes censés expliquer la vie. Mais les temps ont changé et filent à la vitesse de l'éclair. Ses enfants ont d'autres chats à fouetter et trouvent sur d'autres chemins des lanternes pour les éclairer. 

Je rêve d'une tempête sur la Bretagne qui brise les amarres du bateau, qui le pousse vers le large pour refaire les quatre cents coups, que les flots balaient son visage, lui fouettent les sangs et remettent des piles dans la machine. J'ai un ami de soixante-treize ans en attente d'une renaissance.

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27 janvier 2023

Le calme et l'excitation

08 décembre 2016 (17)

Que cachent-ils donc derrière leurs bavardages, leur excitation, leurs mouvements inutiles ?

C'est un mystère pour moi ces attitudes survoltées, cette course en avant, ce besoin d'activité, d'agitation. On est si bien, en petit comité, posés, calmes à échanger des phrases avec des mots qui ont du sens. Je ne comprends pas la joie surjouée, l'apparence de bonheur, la vitrine à paillettes devant des coulisses sordides, le positivisme permanent qui ressemble à un aveuglement volontaire. C'est trop dur, faisons l'autruche. Je ne veux pas savoir, cela risque de scier mes tuteurs. Alors, je vais sortir m'amuser, calmer mes angoisses par de l'excitation, du bruit, du collectif festif. Et si j'ai cinq minutes, j'irai faire des achats compulsifs. Ah, ce qu'on est bien dans l'illusion !

Et en plus, ces stressés permanents vous font la leçon. Ils se croient détenteurs de "la vie". Si vous aimez le calme et le silence, ils vous croient éteints, vous renvoient dans votre grotte ou votre monastère ? Caricatural. Ils ne jurent que par le mouvement qu'ils appellent action, agitent des vagues à la surface et n'ont pas été plus productifs que vous, mais ils ont fait ce qui se voit, s'en satisfont et revendiquent le spectacle comme seule valeur. Vos réflexions, vos pensées, votre approfondissement d'idées ne fait pas avancer leur schmilblick. Il faut paraître, c'est leur moteur.

C'est pourtant dans les coulisses, les labos, les antres des poètes, les analyses qu'on change le monde. Pas dans les boites de nuit. Ils ont bien intégré le capitalisme, le toujours plus de production, de consommation, de stress. Ils sont bien dans la compétition, dans l'avoir, dans la course à la tombe. Ils auront vécu à cent à l'heure avec fièrté. Des James Dean aux petits pieds brûlent la vie. Feux follets, ils mourront vite ou mal, médaillés de l'excitation et satisfaits d'avoir brassé du vent. Drôle d'ambition de courir se fracasser sur les murs.

Une autre vie est possible. Celle du recul et de la prudence (première vertu cardinale), de la réflexion et de l'économie de mouvement, du calme et de la responsabilité. Se préserver, durer, construire des fondations solides plutôt que des tours de papier. Marathoniens au pas lent et régulier, assuré et déterminé, je vous loue bien plus que ces sprinters essoufflés et ces éjaculateurs précoces qui préfèrent les feux d'artifices à la lave du volcan. Mais ce sont eux, les extravertis excités qui investissent le devant de la scène. Plus nombreux, plus bruyants, ils prennent de la place et font leur loi, celle de notre société. Pour la vie, c'est autre chose, ils ne tiennent pas la distance. La vie appartient à ceux qui se concentrent avec lenteur.

8 janvier 2023

Vivre encore

Tant que j'ai un livre en cours, je ne peux pas mourir. Il faut bien que je connaisse la fin ! Je ne peux m'absenter avant. Et puis, je n'ose pas imaginer le poids sur ceux qui auront à s'occuper de mes affaires. Ils ouvriraient au marque-page, chercheraient un sens à tout. Il s'est arrêté à la page 102, peut-être sur le mot infini qui termine le premier paragraphe. Qu'est-ce que ça veut dire ? Evidemment, ça ne veut rien dire du tout. Mais je ne crois pas à cette hypothèse. Je mourrai entre deux livres. Coincé dans le vide. Ma tâche accomplie, mon devoir fait. Je fermerai la porte sur le mot Fin, comme il se doit. Rien en suspens, toutes affaires réglées.

Aussi, je ne laisse la porte entrouverte que très peu de temps. Aussitôt rangé le livre achevé, que j'ouvre le suivant, m'offrant encore quelques heures de respiration. C'est une technique qui fonctionne bien. Pour l'instant. Sitôt sorti d'une ambiance de souffrances familiales, je plonge dans un 500 pages à découvrir. Pas le temps de ne pas respirer. J'ai encore sauvé ma peau.

J'en conclus qu'il me faut ma drogue pour rester en vie. Tant qu'il y aura des livres, je serai immortel. Elle est facile ma vie. J'ai un minimum de confort (plus qu'il n'en faut même ). Pas d'horaires. Très peu de contraintes. De l'activité physique... Et des livres. Quelques récréations d'écriture viennent compléter le tableau et je suis aux anges. Donc, je lis pour vivre. Ce n'est pas la pire des conditions. 

Je n'ai pas l'air comme ça, mais je suis en train de risquer ma vie. Je viens de terminer Les taiseux de Jean-Louis Ezine et La treizième heure d'Emmanuelle Bayamack-Tam m'attend. Je suis dans le vide. En train d'écrire pour passer le gué. Je trompe la mort en lui faisant croire que je suis encore dans un exercice de mots. Pas bête. Mais je ne parle pas trop fort, on ne sait jamais. Je ne fais pas long, le chemin est escarpé. Je retourne me mettre à l'abri un certain temps, me glisser dans les pages, me lover dans une ambiance. Bref, vivre en caractères imprimés. Vivre encore.

4 janvier 2023

Par les mots

Je ne suis que des mots. Qu'on me scanne par n'importe quel bout, je ne suis fait que de mots. Je ne connais que les mots. Tout est traduit, filtré, transformé en mots. On me dit que certains ont des émotions qui ne passent pas par les mots. Je n'y comprends rien. Je crois que j'ai des traductions d'émotions quand d'autres y ont un rapport direct. Alors, on me dit cérébral. Et cela n'a pas l'air d'être un compliment. On y voit de l'insensibilité. Alors que je suis aussi sensible qu'un autre. Peut-être plus sensible que la moyenne. Mais j'évite les démonstrations et je tempère avec des mots, des explications. Je serais plus enclin à verser une larme sur un poème décrivant un coucher de soleil que sur un coucher de soleil, plus prompt à m'émouvoir de mots que de musique. Quand je pense que certains m'expliquent avoir la chair de poule en écoutant de la musique. C'est, pour moi, surréaliste, c'est une langue étrangère. On me ferait une analyse du morceau avec des mots, il y aurait une petite chance que j'y accède. Une petite chance. La musique, tiens, parlons-en. Elle tient lieu d'art suprême par les temps qui courent. Elle est partout. Souvent subie, elle agresse mes oreilles, dans une rue, un commerce, une voiture. J'aime le silence... et les mots, dits, écrits, posés. Mais que cela ne devienne pas un bavardage non plus. J'aime les mots qui font sens, qui servent, qui élèvent, qui fraternisent.

Je serais plutôt de l'école de la psychanalyse qui guérit par la parole, que de celle de l'action sur le corps, relaxation, et autre sophrologie. Il y a le sport, peut-être. Même lorsque je médite, cela se transforme en prière, en auto-suggestion par des mots pensés. Je me décontracte parce que je lis le mot "décontracté" dans ma tête.

Je ne comprends rien aux pictogrammes. Aucun dessin ne m'aide à monter un meuble. Je me casse les doigts sur les images "d'ouverture facile". Ecrivez-moi des phrases et je suis sûr que je m'en sortirai. Des mots quoi ! Parlez à ma culture et à mon intelligence ! C'est pas compliqué ! Je parle des Bandes Dessinées ? Allez vite fait ! J'arrive à la fin de la page et je m'aperçois n'avoir lu que les bulles, n'avoir regardé aucun dessin. Obligé de recommencer. Bref, je renonce. Et je reprends un livre sans images. Un livre, quoi !

Lorsque je parle, je vois tous les mots écrits dans ma tête. J'ai un support virtuel qui imprime en même temps que je dis. A vrai dire, un millième de seconde avant. Donc, je ne parle pas, je lis ce que j'ai déjà écrit. Autant dire que pour la spontanéité, il faut repasser. Tiens, encore une attitude valorisée, la spontanéité. Nous en reparlerons une autre fois, mais je n'aime pas la spontanéité.

Alors, des mots lus, écrits, prononcés, visualisés font mon bonheur et ma vie. J'y trouve mon compte, dussé-je être en décalage par rapport à la plupart des gens. Envoyez-moi des lettres, offrez-moi des livres. J'ai même pris mes distances avec le cinéma qui avait construit ma jeunesse. Je ne regarde que rarement un film ou une série et les vidéos en général. Je n'apprends que par la lecture. Je supporte une conférence s'il n'y a aucune mise en scène. Je ne vais plus que rarement dans un musée. J'habite dans les mots des phrases des paragraphes des pages d'un livre. Même lorsque je fais des activités de détente, marche, course, vélo, repassage, je suis en écriture interne, je fais mes pleins et mes déliés en même temps. 

Une exception, peut-être. J'adore les cartes de géographie. Ce sont des dessins pourtant. Ajoutons des mots dessus, créons des légendes et je suis aux anges. Si on les anime, comme dans cette émission d'Arte, "Le dessous des cartes", je comprends tout. 

Quand je pense qu'on entend parfois "ce ne sont que des mots" pour dénigrer un propos. Oui, ce ne sont que des mots. Mais, les mots, c'est tout. Une sorte de liquide vital qui relie tout. Il faut nommer les choses. Rien de mieux que les mots pour le faire.

31 décembre 2022

Lectures 2022

Janvier

En bas,  les nuages – Marc Dugain

Le consentement  - Vanessa Springora

Tous les matins du monde  - Pascal Quignard

Une forme de vie  - Amélie Nothomb

Anéantir – Michel Houellebecq

U.V. – Serge Joncour

La nouvelle vie de Paul Sneijder - Jean-Paul Dubois

Eloge du mariage,  de l'engagement et autres folies  - Christiane Singer

Chanson bretonne  - J.M.G. Le Clézio

Les choses humaines - Karine Tuil

La métamorphose  - Franz Kafka

 

Février

Les désossés  - François d'Epenoux

Je pense à autre chose - Jean-Paul Dubois

Samuel et Alexandre  - Francis Leplay

Le dernier frère  - Nathacha Appanah

 

Mars

Tout s'est bien passé  - Emmanuèle Bernheim

La volonté  - Marc Dugain

Le cœur du pélican  - Cécile Coulon

Mon mari  - Maud Ventura

Défense du secret  - Anne Dufourmantelle

Le murmure des fantômes  - Boris Cyrulnik

Les derniers jours de nos pères  - Joël Dicker

Repose-toi sur moi – Serge Joncour

 

Avril

Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité  - Aurélien Barrau

L'Evangile selon Pilate - Eric-Emmanuel Schmitt

Porca miseria  - Tonino Benacquista

Virgile s'en fout  - Emmanuel Venet

 

Mai

La tentation  - Luc Lang

Ils vont tuer Robert Kennedy – Marc Dugain

Le café suspendu  - Amanda Sthers

Le jeune homme – Annie Ernaux

La salamandre  - Jean-Christophe Rufin

L'écume des pâtes  - Tommaso Melilli

Guerre  - Louis-Ferdinand Céline

 

Juin

L'amour sans le faire  - Serge Joncour

La fille qu'on appelle  - Tanguy Viel

Mémoire de fille  - Annie Ernaux

Les flammes de pierre  - Jean-Christophe Rufin

Térébenthine  - Carole Fives

La vie devant soi – Romain Gary

Le liseur du 6h27 - Jean-Paul Didierlaurent

Aimer à peine – Michel Quint

 

Juillet

L'été sans retour  - Giuseppe Santoliquido

Ceux qui s'aiment se laissent partir  - Lisa Balavoine

Les pantoufles  - Luc-Michel Fouassier

Les femmes de – Caterina Bonvicini

Après le spectacle – Francis Leplay

Fille  - Camille Laurens

 

Août

Jours de colère  - Sylvie Germain

L'autre femme  - Cristina Comencini

On était des poissons  - Nathalie Kuperman

Le jour d'avant  - Sorj Chalandon

Gros-Câlin  - Romain Gary

La vie en relief  - Philippe Delerm

La nuit des pères  - Gaëlle Josse

Liv Maria – Julia Kerninon

 

Septembre

Quelque chose à te dire  - Carole Fives

Amour propre  - Sylvie Le Bihan

La lenteur  - Milan Kundera

Qui sait  - Pauline Delabroy-Allard

Le jeu des si – Isabelle Carré

La place – Annie Ernaux

 

Octobre

Prends soin de moi  - Jean-Paul Dubois

Eldorado  - Laurent Gaudé

Quelqu'un d'autre  - Tonino Benacquista

L'écrivain national  - Serge Joncour

L'arrière-saison – Philippe Besson

La peau  - Curzio Malaparte

 

Novembre

Sur l'eau  - H.M.van den Brinck

Cannibale  - Didier Daeninckx

Réparer les vivants  - Maylis de Kerangal

À cinq ans, je suis devenue terre à terre  - Jeanne Cherhal

Ce qui ne peut être volé – Cynthia Fleury/Antoine Fenoglio

Petit éloge de la vie de tous les jours  - Franz Bartelt

L'âge heureux  - Sigrid Undset

Comment ne pas tuer sa mère  - D.H.Lawrence

Le dernier été en ville  - Gianfranco Calligarich

 

Décembre

Se perdre  - Annie Ernaux

Un fils obéissant  - Laurent Seksik

Éloge du peu  - Koike Ryûnosuke

Trois jours chez ma mère  - François Weyergans

Alabama Song  - Gilles Leroy

Extérieur monde  - Olivier Rolin

Pas pleurer  - Lydie Salvayre

Un chien à ma table  - Claudie Hunzinger

La montagne  - Jean-Noël Pancrazi

 

 Lectures 2021Lectures 2020Lectures 2019 - Lectures 2018 - Lectures 2017

 

23 décembre 2022

L'or du temps

16 septembre 2019 (8)

Non mais tu te rends compte ? Tu as 65 ans et, inlassablement, depuis toujours, te reviennent ces obsessions de justice, de vérité, d'amour universel. Tu ne peux pas te calmer ? Te rendre à l'évidence ? Tu saoules tout le monde avec tes accents révolutionnaires, anarchistes, et pour tout dire, un peu cathos. Tu en as usé quelques-uns, quelques-unes, à tout remettre en question tout le temps, le travail, l'argent, les traditions, les conventions, et autres conformismes embourgeoisés. Et tu ne t'es pas fatigué toi-même à repasser toujours au même endroit ? Tu vois bien que ça ne marche pas ton histoire. Le monde tourne sans toi. Tu es décalé et tu n'as pas voulu "rentrer dans le rang".

Tiens, "rentrer dans le rang", c'est ce que m'avait écrit une amie sur la page de garde d'un livre de Léo Ferré en me le rendant, il y a plus de quarante ans. Il me fallait comprendre que le combat serait rude dans la marge, que se fondre dans le moule, suivre le mouvement serait plus reposant, plus confortable. Je suis resté sur le fil du rang, à essayer des incartades en permanence. Enfin, suivant les humeurs et les événements. Trop bien élevé pour foutre le bordel, furtif, je montrais un visage d'intégré pendant que le volcan grouillait à l'intérieur, que le bouillon de lave frappait à la porte pour tout emporter sur son passage. Refaire le monde. Pas moins. 

C'est donc le temps de l'adolescence qui ne m'a pas quitté, moi qu'on disait mature, très jeune. Responsable, mais utopiste. Sérieux, mais idéaliste. Pas assez téméraire pour faire la révolution, pour vivre en marginal, et pas assez docile et conforme pour intégrer le rang et le troupeau. Je cherchais, et malgré une vie remplie, de constructions et de doutes, je cherche encore l'Or du temps. (C'était une chanson de Charles Dumont, l'idéaliste qui dialogue avec François Périer, le raisonnable)

Je n'invente rien. Je ressasse. Le poète s'use à labourer le merveilleux pendant que l'ambitieux fait des affaires. Bien sûr, je suis mieux dans mon modeste chez moi que dans des palais sans profondeur, mieux dans mes idéaux que dans de prosaïques possessions, mieux dans mon volcan intérieur que sous les feux d'artifices dérisoires. Le seul regret d'une vie décalée est celui de ne pas être compris, de devoir tenter de convaincre de la supériorité des idées face au matériel, de la force de l'intériorité, de la puissance des mots, de la foi en l'humain. Pendant ce temps, le capitalisme fait consommer du futile et les non-poètes suivent le torrent. Ils sont rentrés dans le rang depuis longtemps. Je suis un retraité incorrigible. Vieil anar déguisé en bourgeois, je vis dans une grotte en pleine lumière, caché derrière une façade, passe-muraille pour ne pas déranger les bourgeois. Je suis un militant silencieux, qui croit encore qu'on peut réveiller les consciences, mais qui ne fait rien pour. Je mourrai décalé, regrettant que la société ait bouffé la vie. On ne se refait pas. On ne choisit pas.

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