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24 août 2013

Raymond de Compostelle 2/2

Raymond de Compostelle 1/2

"Ne faisons plus l'amour !"
Raymond lança la phrase comme une révélation qu'il voulait partager, un acte héroïque pour sauver l'humanité, un cri de ralliement derrière une mission devenue évidente.
Encore une croisade à mener, se dit-il. Il était l'Élu, celui qu'on avait désigné pour apporter la bonne parole.
Il avait toujours accordé plus de crédit à la valeur d'exemple qu'au diktat. Aussi, il modifia sa lettre de mission. Je ne ferai plus l'Amour, criait-il dans les rues. 
En ces temps de retour à l'ordre moral et de puritanisme décomplexé, il ne choquait plus grand monde. Dieu merci, ses contemporains n'étaient pas prêts à le suivre dans la voie de l'abstinence et cela ne leur demandait aucune réflexion. La messe était dite, ils continueraient de forniquer, injonction divine ou pas.

C'est par un appel alarmiste que l'épouse fut informée de la démence qui frappait son compagnon.
Inquiète et honteuse à la fois, elle comprit vite, aux yeux exorbités de l'hérétique, que le calme et le dialogue s'imposaient à la situation. Monique lui fit malicieusement remarquer que depuis quelques mois, il avait déjà mis en pratique ce qu'il décidait aujourd'hui. Il avait eu du flair, du nez, de l'intuition.
Après quelques encouragements à expliquer la radicalité de la décision, elle finit par comprendre où voulait en venir le sauveur de l'humanité, le rédempteur de nos vies dissolues et de nos galipettes bestiales.

Ne plus faire l'amour ne signifiait pas du tout la même chose dans son esprit ou dans celui du quidam ordinaire. Deux éléments fussent-ils corps complices, pièces de puzzle imbriquées à la perfection, âmes sœurs et moitiés uniques, ne pouvaient suffire à enfanter le monde d'une passion nouvelle, d'un idéal supérieur, d'un avenir paradisiaque.
Un troisième élément s'imposait. Il fallait désormais que chacun comprenne bien qu'il fallait faire l'amour à trois.
Une curiosité teintée d'inquiétude et de gourmandise troubla la dame. C'est le moment que choisit le messager de Dieu pour dérouler son parchemin, dans un état d'excitation qui rendaient ses paroles confuses. Heureusement, ses gestes et ses mimiques traduisaient parfaitement le contenu du message : 
"Tu comprends ? C'est fini toutes ces simagrées. Plus personne ne fera l'amour, tout le monde sera l'amour. Mieux. Fini ces histoires de partage, d'échange et de mutualité. C'est l'Éternel qui fera ciment. C'est le troisième homme, l'onguent salvateur, l'agent médiateur, le trait d'union indispensable, le guide aux voies pénétrables. Plus aucun ébat de cour ou de caniveau, à voile ou à vapeur, ne se fera sans l'omniprésence de la puissance divine du Seigneur. Vois-tu..."

Le coup ne partit pas tout seul. C'est sciemment et froidement que Monique appuya sur la gâchette.  Depuis son retour de Saint-Jacques-de-Compostelle, Raymond était plus qu'inquiétant. Son mysticisme se transformait en délire permanent et chaque réveil accouchait d'une idée farfelue nouvelle. Il venait d'inventer l'amour avec amour. Quel imbécile ! Il aurait mieux fait de se mettre au boulot, la théorie ça suffit pas pour monter aux rideaux.
L'avocat plaida l'euthanasie. La presse et l'opinion publique aidèrent à l'acquittement. Puis, tous les hommes du village, par charité chrétienne, se sacrifièrent chacun leur tour pour rendre la veuve plus joyeuse que jamais.

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