Sur le fil
En panne d'inspiration, le blogueur savait malgré tout qu'il parviendrait à boucler son billet quotidien avant minuit. Il était sec mais pas inquiet ; ça finissait toujours par venir. Vieux briscard, il avait quelques astuces, des cartes à jouer en dernier recours. Proposer une rediffusion en était une. Mais à trop la répéter, on lasse et surtout on faiblit par manque d'entraînement à la création. Se lancer avec un mot pioché au hasard et laisser faire les doigts, fonctionnait bien aussi, mais il réservait l'exercice à l'aube inspiratrice. Là, en fin de soirée, l'énergie sur la réserve, il était illusoire d'imaginer sortir un écrit génial ou une analyse remarquable. Alors, en désespoir de cause, il opta, un peu honteux, pour la mise en abîme. Ça marche à tous les coups. L'écrivain qui nous livre sa page blanche la remplit en l'avouant. Et, parfois, l'encre appelle l'encre, sans talent peut-être, mais l'ouvrage finit par prendre forme.
C'est assez faible, mais l'avouer pourrait déculpabiliser.
Ce soir-là, il ajouta la Traviata dans les écouteurs, en espérant pouvoir écrire avec un peu plus d'entrain. Et c'est l'inverse qui se produit tant il se sentit ridicule de livrer des mots creux avec une astuce médiocre.
Traviataratata ! Ne te démoralise pas blogueur d'eau douce ! Crois en toi ! Livre ici un résultat que seuls ta persévérance et ta malice ont su pondre. D'autres se seraient découragés. Ils auraient revu leurs exigences à la baisse, regardé la réalité en face, relativisé l'importance d'être si rigoureux. Toi, tu es en passe de gagner ton pari : écrire un billet avec rien. Ce n'est pas donné à tout le monde, je te le dis. Et puis, pour un samedi, ça ira bien. Ils seront moins nombreux tes lecteurs, à se moquer de toi. Leur déception passera plus vite. Ils savent que tu travailles le dimanche et sauront, dès demain, te pardonner.
Reste à trouver une illustration. Pas de pression. Quelque chose de joli sans aucun rapport avec le texte fera croire que le lien échappe, mais que, sans doute, il est trop fin pour soi.
En conclusion, osons commencer par "en conclusion" pour être explicite sur notre intention d'en finir. Ce faisant la quantité de mots respectable finira par y être pour faire bonne figure et passer la ligne d'arrivée avant l'heure fatidique.
Mission accomplie, tu peux aller dormir, travailleur du soir !