L'hiver a ses étés
L'hiver, je mange dans des assiettes oranges, ou jaunes, pour simuler le soleil. Et j'écoute Nougaro, ou Moustaki pour me mettre en joie. Que d'artifices pour patienter jusqu'à la belle saison, pour remplacer la vitamine D naturelle ! Et pourtant, le cycle des saisons a ses raisons et son importance. Certes. Il faut s'y faire et savoir l'apprécier. On se rabat sur les soupes et les tartiflettes, les galettes et les coins du feu. On se réchauffe comme on peut.
Parfois, la neige vient illuminer l'obscur. Bonne fée, elle a un pouvoir de magicien. Elle appuie sur des boutons bien cachés, ceux de l'enfance. Alors, d'un coup, derrière les vitres, on s'émerveille, on redevient petit enfant, on suit les gros flocons des yeux, on les accompagne au sol. Bientôt le tapis se forme et le vieil adulte n'y tient plus, il enfile chaussures et blouson et file au-dehors. Qu'importe le froid ! Il a six ans et tous ses réflexes sont intacts. Il sait comment former un bonhomme de neige. Faire une boule et la rouler au sol jusqu'à la faire grossir comme un torse. Une autre, plus petite, pour la tête, avec le même principe. Les gestes sont ceux d'un enfant et l'excitation est à son comble, irrépressible, incontrôlable. C'est frais et joyeux. Et communicatif. Puis, lorsqu'on a finalisé le bonhomme, on déclenche une bataille de boules. Sans l'avoir prémédité. En débloquant le mécanisme, on a réactivé un automatisme. Quelques cris fusent et personne ne nous reconnaîtrait. Les rires sont puissants. C'est de la joie pure. On l'analysera demain. Pour le quart d'heure, on vit. Comme on aimerait vivre 24 heures sur 24. Dans l'innocence et le bonheur. L'hiver a ses étés. Episodiques, furtifs et paroxystiques.
Lorsque, une fois par an, je pars faire du ski, je relance au fond de moi, ce plaisir fou, sans retenue. Moi, le plus sérieux des hommes, sérieux revendiqué en plus, je glisse dans un état second. Je crie, je chante, j'explose. Je suis orange. Et soleil. La vie ne m'attend plus. Je suis là. J'ai chaussé les skis, patiné un peu à droite et à gauche pour me lancer sur le plat, puis j'entonne sans le décider, une chanson de Serge Lama. Tous les ans, c'est la même chose. Je ne connais plus personne. Ni honte, ni pudeur. Je chante, faux bien sûr, mais peu m'importe. Et la montagne se fait écho :
C'est déjà qu'il fait beau
Tous les mots qu'on invente
On les vole aux oiseaux
C'est déjà que l'on pense
Au début de sa vie
Que ce sera jamais jamais jamais fini
Je t'aime à la folie, je t'aime à la folie
Je t'aime à la folie, je t'aime à la folie la vie