Des apnées du soleil

Cette nuit, j'ai empêché ma femme de dormir. Un lapsus lui a fait dire que je faisais des apnées du soleil. L'occasion fut trop belle. J'ai saisi l'expression au vol. Et depuis, elle trotte. J'y cherche un sens, une métaphore, une révélation. Je transpose ces arrêts de respiration et de lumière dans un temps plus long. C'est le voile de l'hiver ou celui de la vieillesse, l'éclaircie d'une exaltation inattendue, l'intermittence de nuages et de soleil. C'est la vie, c'est tout. Celle des hauts et des bas qui ne vont pas l'un sans l'autre, des soucis et des joies, de grande forme en coup de barre. Il suffit de le savoir et de s'y faire. Mais on en met du temps à le savoir. Et encore plus à l'accepter. La même qui fait des lapsus répète souvent que nous ne sommes pas linéaires. Elle est plus sage que moi qui me voudrais toujours au zénith, sans faiblesse et sans fatigue. Du coup, à vouloir pousser trop loin, j'en accuse le coup et la théorie se confirme.

J'ai donc des apnées du soleil, jour et nuit, ma vie durant. Comme chacun d'entre nous. Un jour, héros infatigable et le lendemain, chiffe molle. Faut-il battre le fer tant qu'il est chaud au risque de le payer d'une baisse d'énergie soudaine, ou gérer son effort pour tenir plus longtemps ? Plutôt marathonien que sprinter dans mon élan sportif, je cours plutôt un marathon au sprint dans le quotidien, enfin, j'essaie. Je groupe mes obligations sur la matinée pour pouvoir faire la sieste ou la sieste s'impose du fait que j'ai voulu tout grouper sur le matin. On vieillit en apprenant encore chaque jour et en ne sachant rien complètement, jamais.

On vit mal à vouloir tout juger en noir et blanc, en couleurs marquées, en convictions fortes. Tout est dans la nuance. Et la nuance n'est pas tendance. La vie aime le gris, tous les gris du plus clair au plus foncé. Les hyperglycémies appellent les hypoglycémies et les amours passionnées, des chagrins puissants. On pourrait décliner à l'infini tous les excès qui ont leur pendant. Les idéalistes feront toujours les meilleurs désabusés. Et l'éternel dilemme de la vie courte et flamboyante face à la durée plus fade. C'est presque désolant d'admettre qu'on ne peut vivre d'exceptionnel en permanence et bouillonnant sans accalmie. Il faut reposer son corps et ses pensées, ses désirs et ses ambitions. Attendre de retrouver des forces pour encore retrouver la fête. Alternance de rayons et d'apnées, nous irons plus loin en écrêtant les pics. Que le graphique ne soit ni jeunes montagnes, ni morne plaine, mais douceur dynamique et élan au souffle long.

Je sais qu'on peut guérir des apnées du sommeil, mais qui croit s'attaquer aux apnées du soleil ne fait qu'atténuer, soigner sans guérir.