Se mettre en joie

Nous sommes parfois ciblés par des événements qui nous mettent en joie. Plus rarement, ils se donnent rendez-vous dans un laps de temps court. C'est ainsi que nous parlerons de planètes alignées, de période propice, voire de chance ou de tournant. Un bonheur ne vient jamais seul et nos chakras sont ouverts à la nouveauté, à l'inattendu, à l'explosion. Il convient, bien entendu, de prendre conscience de cet enchaînement favorable et d'ainsi en profiter plus pleinement. Accessoirement, on l'écrira pour mieux l'immortaliser.

Cette tartine du matin, mangée en terrasse, au soleil m'a rappelé tous les instants-rois de ces derniers jours. Une tartine grillée, beurrée et agrémentée d'une confiture de clémentines corses, arrosée de ce soleil des premières heures, m'a transporté. Mes deux couleurs préférées sont l'orange et le jaune. Elles se sont accouplées sur cette tartine me rappelant les couleurs d'un habit de moine tibétain. Mon petit-déjeuner a pris, d'un coup, l'allure d'une méditation. Et me voilà parti dans l'exploration de mes sensations de plénitude de la veille après ma sortie de vélo en bord de mer. Les jambes fourmillent encore un peu, un bien-être, limite électrique, remonte vers le cerveau et on se soulève un peu du sol. C'est une image. Il est vrai que la piste cyclable avait des allures de piste de ski. On y pédale à peine et on glisse, d'Est en Ouest, croisant toute sorte de gens et d'images qui explosent de couleurs et impriment les coulisses des yeux, à jamais. Je m'alimente de la vie et me crée des souvenirs pour mes jours d'ennui en EPHAD. J'engrange. Je me fais mon album-photos dans la tête.

Dimanche dernier, tels des touristes jouant à domicile, nous avons pris les vélos pour aller acheter du poisson frais au port. Deux daurades roses ont fait notre déjeuner. Cela n'a l'air de rien, mais nous volions et goûtions ce moment d'ordinaire. Il fut sublimé par notre conscience d'apprécier la simplicité.

Lundi, j'ai appris que mon petit-fils, trois ans et demi, avait dit à son père : "Je veux quitter l'école, mais je suis d'accord pour aller au collège". Joie. Emotion. Fierté.

Mardi, j'ai découvert un poème de Bertol Brecht, A ceux qui viendront après nous. Il y écrit :  "J’aimerais aussi être un sage
Dans les livres anciens il est dit ce qu’est la sagesse :
Se tenir à l’écart des querelles du monde
Et sans crainte passer son peu de temps sur terre"

Ah que j'aime ce Se tenir à l'écart des querelles du monde ! C'est ça. Je fais du vélo, j'achète du poisson, je m'émeus aux paroles de mon petit-fils et je vois un moine tibétain dans une tartine de pain. C'est du détachement de l'écume et de l'appréciation du simple. D'autres penseront que c'est de la fuite et de l'égoïsme, un non-engagement coupable. Eh bien, je leur laisse leur jugement, j'ai assez combattu de moulins dans mes âges passés pour m'accorder un peu de tranquillité et de joies simples pour les derniers arpents de la pente. Tant que c'est possible.