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6 mars 2013

Madame Lamorte

15 avril 2012 (17)

Ce qui devait arriver arriva. Un jour, Eugénie Lamorte mourut. C'était écrit. C'était son destin. C'est assez injuste cette roulette qui vous fait tomber sur des patronymes à porter sur le dos. Étiquetés, marqués au fer rouge, du berceau au cercueil. 

Alors soit on accepte sa croix et on se dirige vers le cimetière les pieds devant dès qu'on sait en mettre l'un devant l'autre quand on s'appelle Lamorte ou on fait mentir le destin, on freine des quatre fers, on se révolte et on bidouille des potions en faisant de l'eugénisme en cachette pour inventer l'éternité, arguant qu'après tout coller à son prénom plutôt qu'à son nom, c'est pas plus bête. Au tirage au sort, certains sont tombés sur Lamour, Jolie ou Bonhomme. Marqués, mais plus faciles à porter. Même si ça les oblige un petit peu. Faut assurer. 

Eugénie choisit de suivre le chemin déjà tracé, de faire coller le réel à la programmation. Elle fit même mieux. Elle grossit le trait. Elle épousa son cousin, sans qu'on ait trop à la forcer. Séraphin Lamorte, heureux homme, s'en trouva tout flatté. Vive la mariée ! Le nom restait dans la famille et la famille dans le nom, les vaches, bien gardées, partagèrent le même pré. Les Lamorte n'étaient relevés que par les étrangers, tant le village, habitué depuis des générations, avait oublié le nom commun. Chaque photo de classe, de la plus jaunie à la plus colorée, comptait dans ses rangs, des bouilles de Lamorte, garçons et filles. Au bout du parcours, le cimetière recopiait les photos de classe. Ordre des choses immuable. Un village de conservateurs soumis pour une famille de conservateurs soumis.

Jusqu'au jour où, devant la tombe de l'arrière-grand-mère, la jeune Marion Lamorte, foudroyée de l'intérieur par une prise de conscience salutaire, décida qu'elle ferait mentir le destin. Toutes ces gueules d'enterrement qui avaient accompagné son enfance, elle aurait voulu les enterrer toutes en même temps, jeunes et vieux, refermer cette grille qui grince sur ce gravier dont le crissement crée les rictus de circonstance et économiser les frais en déclenchant des obsèques collectives et instantanées. Fosse commune Lamorte ! Ça l'fait ! 

La sonnerie de l'IPhone la sortit de sa rêverie stratégique. Les nuques de l'assistance, à l'unisson, se relevèrent et les regards dessinés de la même couleur de répprobation, vraie pour certains et feinte pour d'autres, la fusillèrent. Marion remercia Dieu Apple de ce signe du destin lui ayant apporté à la vue du spectacle, la goutte d'eau nécessaire à alimenter le moulin de sa machiavélique entreprise. C'est décidé. Elle va rayer de la carte le village, les Lamorte, les archives, le cimetière et son nom sur sa carte d'identité. Vos regards copiés-collés à la nord-coréenne, je m'en vais vous les colorer au lance-flamme, moi. Un charnier bien mélangé au gravier,ça fera du street-art moderne, il suffira juste de le présenter comme tel.

La jeune fille fit ce qu'elle dit mais avec les formes.

Après avoir suivi les méandres d'une administration digne de sa réputation, elle finit par changer de nom. Marion Lamort, artiste plasticienne, courait le monde et ses oeuvres au lance-flamme ne pouvaient se contempler qu'après avoir réserver des mois à l'avance. Seul un village isolé du Perche, restait à l'écart du succès de Marion, de l'ADSL et du mouvement du siècle.

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