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16 avril 2013

Jacques le libéré

P1110210

A chaque fois qu'il voyait une personne nue ou seulement son image, l'expression lui sautait à la tête, au coeur et à tout le corps : Une main devant, une main derrière.

Il l'avait tellement entendue celle-là. Repas de famille, émissions télévisées, radotages des anciens. Voilà, ça l'avait marqué, Jacques. Les vestiaires du foot, gamin, les douches collectives, les premières filles et surtout le service militaire furent des calvaires pour lui.  Au fil du temps, il réussit à contrôler ses gestes. Il n'accompagnait plus sa pensée réflexe du mouvement circulaire emmenant la main droite devant son sexe et la main gauche entre ses fesses. C'est en les occupant à autre chose qu'il est parvenu à déprogrammer l'automatisme. Une main devant, une main derrière et les deux mains qui se la serrent.  Si on voyait l'ami Jacques se serrer les pognes tout seul, c'est qu'il était en plein exercice.

Pourtant, c'est un enfant de 68, Jacques. Marseille, c'est d'une clinique qu'il l'a découverte, pas d'un bateau. Mais comme tous les enfants de déracinés, il a épousé la cause, ingurgité l'histoire, vécu le passé. Pied-noir fier et non rapatrié. Esprit communautaire bien sûr. Comment faire autrement ? Ses parents ont serré les dents, serré les fesses, serré les rangs et Jacques n'a compris que des choses diffuses. Rapatriement, intégration, rejet, exotisme, racisme, tous ces mots se mélangeaient. Il fallait compatir avec les anciens et s'ouvrir les portes de l'avenir en même temps. Aussi l'accent du gamin variait suivant l'endroit où il se trouvait. Une bonne école pour les apprentissages futurs. Il grandit donc, porté par deux forces structurantes et pourtant contraires : faire partie du clan, de l'Histoire, de la famille et sortir du clan, de l'Histoire, de la famille. Étonnante injonction paradoxale qui donnera un résultat unique et exceptionnel, comme deux rivières se faisant face accoucheraient d'un geyser.

Une main devant, une main derrière et les deux qui se la serrent. Chemin faisant et mains se serrant, Jacques devint Jacques, riche, forcément, d'un passé si intégré qu'on le croirait effacé et fort d'une construction neuve sans passé prétexte ou ancres boulets. Jacques est un homme libre parce qu'il est homme libéré, libéré par lui-même sans rien avoir renié. Un homme complet, une main vers l'avant, une venant de derrière, harmonie de mouvement, passeur de témoin sans guerre.

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