Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Singulier Pluriel
Singulier Pluriel
Publicité
Singulier Pluriel
Derniers commentaires
Archives
11 septembre 2013

Manifestation d'humeurs (2008)

La manifestation battait son plein. Les masses populaires vociféraient et crachaient des slogans primaires à l’endroit des policiers, de l’Etat, des patrons et autres autorités moins bien définies.

Elle arborait une chasuble sur  laquelle une main maladroite avait dessiné le cercueil d’un mort nommé "Ecole". Elle hurlait et chantait comme si elle avait été laide. Quelque chose ne collait pas. Ses traits étaient fins. Ses yeux éclairés et son corps souple et distingué tranchaient avec les chaussures de montagne, la voix rocailleuse et les gueulantes grossières.
Ses cheveux coupés court s’étaient mis au rouge et la mèche frontale bleue ne semblait pas faire montre de patriotisme, mais dénotait, sans erreur possible, la quarantenaire en chemin vers l’émancipation,  familière du rayon "Développement Personnel" de la FNAC le mercredi après-midi, et, qui préfère, désormais, être seule que mal accompagnée.
Un pendentif moitié yin et moitié yang, ainsi qu’un excès de Patchouli achevaient le portrait.

Ses lunettes rondes cerclées et son cheveu mi-long l’étiquetaient "Prof" sans aucune hésitation. Il ne l’était pas. Anti-profs même ce jour-là. Le quartier était bloqué afin que quelques énergumènes d’un autre âge beuglent en plein air et réchauffent leur solitude à plusieurs pour des revendications indécentes.

Pendant qu’elle chantait, il regardait, l’œil vache, passer le train de la révolte embourgeoisée, avec la patience résignée de celui qui fait le dos rond pour que le vent glisse plus vite. Seulement voilà. Les regards n’ont pas de bord. Autonomes, ils décident. Elle le vit. Il la vit.

Son chant alla décrescendo et ses joues trahirent le mal-être. Son esprit s’imagina montgolfière. De là-haut, elle se vit ridicule, déguisée, pitoyable mouton parmi les moutons, bécasse endoctrinée.
Son corps ne tarda pas à lui répondre. La cheville gauche faiblit et, chasuble, idéaux, revendications et statut professionnel embrassèrent le pavé.
Elle ne dut la vie sauve qu’à la main secourable d’un spectateur patient et impatient à l’allure de professeur mais qui ne l’était pas.

- Tous ces barbus vous auraient piétinée sans mon intervention, Mademoiselle.
- Madame !.. Ridicule ce... "barbus" !.. Vraiment, les clichés !
- Je plaisantais… Ma-dame.
Le garçon arriva avec le café et le chocolat chaud.
- Merci… Mon-sieur. Bon. Vous faites tout, tout de suite, on sera tranquilles : Les fonctionnaires feignants, les profs privilégiés, les manifestants gauchistes et les syndicalistes barbus.
- Ça, c’est déjà fait. Si on parlait de votre cheville.
- J’ai mal mais ça ira, ça ira.
- …les aristocrates à la lanterne..?
- Mais, c’est pas vrai !
- C’est bon, j’arrête. Oui, je crois que ça ira en effet. Avec la MGEN, vous n’aurez rien à payer.
- Là. Je m’en vais. Vous êtes odieux.
- Je vous ai sauvé la vie, vous n’allez pas me laisser payer tout de même.
- Mais… mais… je n’ai pas d’argent.
- Toujours à vous plaindre, hein !? Pas d’argent mais un virement mensuel automatique à vie, un compte CASDEN, une épargne Préfon...
- Mais alors, ça existe autant de cynisme ? 
- Non, non, ça n'existe pas. Maintenant que nous avons fait le pire, si nous faisions le meilleur ?
- …

- Je m’appelle Pierre Blanche, chômeur en fin de droits.
- Ah ! Pardon. Je ne pouvais pas savoir.
- Je n’ai pas dit cancéreux en phase terminale, j’ai dit chômeur en fin de droits, Madame. Madame ?
- Heu… Madame… heu… Madame Armelle… heu… Armelle.
- Armelle ?
- Armelle, professeur des écoles.
- Ah ! Pardon. Je ne pouvais pas savoir... Je plaisante, je plaisante.

 

L’irruption d’une horde de supporters du SNES brisa le charme des présentations. Cette prometteuse conversation subit le couperet de la bêtise.
Une espèce d’animal bipède doté de parole tenant de la main gauche une banderole enroulée autour d’un piquet et de la droite une bombe aérosol surmontée d’un cornet, s’approcha du couple.

 

- Bah, Mè-Mèlle, on t’cherche partout. Qu’est-ce tu fous ? Viens en terrasse, on va s’en griller une.
(Puis, plus bas, pour les collègues de lutte et de classe)
- Mais qu’est-ce qu’elle fout avec ce pédé ?

 

Armelle aurait voulu s’évaporer.
Le "pédé" pensa que cette histoire ferait bien rire sa femme le soir venu et qu’il est scélérat de confier l’éducation de nos enfants à des abrutis qui appuient sur des bombes à cornet. Mais c’est une autre histoire.

 

Les vaches sont bien gardées et Armelle rejoignit le gros de la troupe comme le lui avait suggéré le gros... de la troupe.
Pierre paya les consommations et se boucha le nez en traversant la terrasse enfumée. Il se surprit à, aussi serrer les fesses. Allez savoir pourquoi.
Sur le trottoir vide et sale, il pensa que cette femme méritait mieux que cette vie-là.

 

Plus tard, Armelle s’en grilla une, puis deux, puis trois. Elle eut du mal à s’endormir, son cœur dans de beaux draps. Elle pensa que cet homme méritait mieux que chômeur en fin de droits.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité