Arrêt prématuré

Il fait froid et elle a froid. Il fait chaud et elle a froid aussi. Proposez un peu de chaleur, elle refuse. C'est son froid qui la réchauffe. Elle s'est habituée. Elle a froid et ça la tient en vie. Pas plus.
Elle rumine. Elle ressasse. En silence. Dans son corps et dans son coeur, c'est glacial, mais c'est ce qu'elle veut. Sa vie s'en est allé par petits bouts. Sa vie, c'était les siens. Ni elle ni les autres, seulement les siens. Partis, les uns après les autres. Le reste n'est que restes. Sa vie s'en est allé sans qu'elle-même ne bouge. Figée, elle existe sans vivre. Et elle reste sans savoir pourquoi. Elle pourrait faire un pas dans le vide, un seul et dernier pas. Sans doute que ce mouvement de départ serait déjà une action de trop, une action qui prouverait qu'elle est encore vivante. Et ce serait le pire pour elle, être vivante.
Elle n'a pas décidé de ne pas bouger. Elle ne bouge pas, c'est tout.
Un corps perclus et glacé.
On pourrait la croire vieille, dans l'antichambre de la mort. Elle ne l'est pas. Elle a seulement baissé les bras, d'abord dans sa tête, puis le reste a suivi. Les bras des jambes, les bras des bras, les bras de tout son corps. Et les bras des sens. Les bras des autres aussi.
Nommer son état serait déjà l'éclairer. Et c'est trop. L'invisible présence d'un non-être vivant occupe l'espace pour rien. Elle en deviendrait intemporelle, car comment la vie s'échapperait-elle d'un bloc inerte, exsangue, pétrifié ? Statue de son vivant, elle n'est pas. Et pourtant la science dit qu'elle est. Qu'elle est quoi ? Morte immortelle ? Légume vivant ? Vide plein ? Rien. Non, non, ne la nommons pas. Passons.
Passons-la sous-silence. Elle le mérite.