Mon père est mort (2003)

Mon père est mort deux heures avant la fin de l'automne 2003.
Mon papa est mort juste avant que l'hiver soit là.

« Je fais ton deuil depuis trente ans
Bien avant que tu partes en mourant
J'avais quinze ans et je savais que je te raterai ; que je le regretterai.

Pendant trente ans, j'ai voyagé, sac à dos chargé de tout, de toi et de ton mal-être, de ma colère contre ta faiblesse, de ma culpabilité de ne pouvoir t'aider, de ma honte de te voir vivant et inerte, de ma lucidité de te savoir inadapté, de mon impuissance à te parler, à te faire parler surtout, de ma quête d'identité, de ma construction sans pilier, de ma pudeur, de ta pudeur, de tout ce que je savais passer dans ma tête, de ta souffrance et de la mienne.
Ma compassion passée et présente est intime et sans limites.

J'ai fait ton deuil
Et j'ai pourtant mal. Pas de te savoir ailleurs, mais, de ta vie vide, souffrance et néant, douleur, douleur et solitude.

J'ai mal pour cet adolescent que j'ai été et qui a eu froid sans toi, qui a eu peur, très peur de ne pas savoir vivre. Je pleure ce jeune homme.
Je me pleure et te pleure à la fois, mon papa »

Mon père est mort deux heures avant la fin de l'automne 2003.
Mon papa est mort juste avant que l'hiver soit là.

Comments

[Claudio Orlando]

Merci pour ce commentaireLelius, même si je ne partage pas votre avis. Je me sens, au contraire, libéré et désormais seul dans mon fauteuil, libéré de pouvoir sans le poids de l'impuissance à aider. C'est trop tard.

[Lelius]

Il me semble que la mort du père, quelque que fût l’image que nous en avions de son vivant, est l’occasion d’une extraordinaire naissance, celle de jumeaux - le père lui-même et son fils - qui, désormais vont ensemble, indissociablement réunis dans un même corps deux fois habité, parcourir le reste du chemin.

Mon père est mort un 31 décembre, il y a presque 35 ans ; depuis ce jour, nous sommes toujours deux sur le fauteuil où je m’installe… Mon confort, avec le temps, y aurait plutôt gagné.

Bonnes fêtes, ami Claudio !

[Dominique]

Mon Dieu ! C'est bouleversant...

[Stéphane]

je reste sans voix... Ou presque : juste cette pensée vers le mien qui est parti l'automne précédent. Je l'avais rencontré pour la première fois à 30 ans...