Un monde de militants

Les moyens modernes de communication ont multiplié les militants. Jadis ceux-ci étaient des professionnels si j'ose dire, et identifiés. Ils frappaient à votre porte le dimanche matin pour vous vendre l'Huma ou arboraient un badge, une casquette voire une dégaine qui faisaient qu'on pouvait laisser sa porte fermée ou changer de trottoir. Bref, on savait à qui on avait affaire.

Aujourd'hui, c'est le non-militant qui se distingue dans la foule. C'est la perle rare. Celui qui n'a rien à vendre, rien à défendre et qui, discret, garde ses opinions pour lui. Pas prosélyte pour un sou, il se dit que chacun est assez grand pour choisir son chemin et qu'il n'est pas le nouveau Messie venu prêcher la bonne parole. Il chemine, modeste, et au bout du compte, il creusera lui-même sa tombe en faisant vite en se cachant. Ce qui était auparavant le résultat d'une éducation de l'humilité. Cherchez-le, il est rare, mais il brille. Son silence s'élève au-dessus du vacarme.

Les autres se sont trouvé des combats à mener et surtout des moyens de diffuser leurs revendications. C'est tout un art. Il faut savoir jouer des coudes sur les réseaux sociaux, dégainer le hashtag le plus vendeur et maîtriser les techniques de persuasion qui feront passer des élucubrations épisodiques pour des concepts solides. Ils ne sont que des VRP, ils vendent des goûts ou des idéologies comme ils vendraient des savonnettes. Il y a une question de productivité là-dedans. Il faut faire du chiffre, savoir épandre l'idée, accrocher l'indécis et faire grossir ses rangs. Et ils n'ont pas les scrupules du temps passé, ils se rendent visibles, c'est la recette d'aujourd'hui : il faut être visible. Sans vergogne. Monde d'image et de profits. Et bien entendu, ils sont dans le camp de la vérité. Aucun doute. Eux, ils savent. Quelle chance ! Nous, égarés, doutons, cherchons, pataugeons parfois quand ils sont pétris de certitudes. Ils sont d'un camp, d'un clan. En fait, ils se tiennent bien au chaud, à plusieurs. Ne cherchons pas, parmi eux, les courageux solitaires. Ils sévissent partout, de gauche à droite, de haut en bas et dans tous les domaines, chez les conservateurs comme chez les révolutionnaires, dans l'alimentation ou dans la santé, dans la laïcité et dans la religion, dans la décroissance ou dans le progrès, dans tous les domaines vous dis-je. Votre voisin ne jurant que par le Bio et l'opposant au mariage gay en sont, comme leurs exacts contraires. Ils ont même inventé un concept leur permettant d'imposer leurs vues, c'est la légitimité. Opposée à la loi, elle leur permet d'occuper des terrains privés, d'investir des centrales nucléaires, de bloquer un centre-ville ou d'imposer une idée par la force. Le lobbying des milliers de groupuscules partisans fleurit.

Pendant ce temps, quelques illuminés de l'ouverture d'esprit, soucieux de ne pas devenir militant de la non-militance, l'ouvrent de moins en moins et prennent les ruelles adjacentes, sans réverbères. Il faut dire que la place publique est tout occupée par ces excités de leurs opinions dévoreuses. Pauvre Martin, pauvre misère !