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18 septembre 2012

Madame Irène

11 mars 2012 (17)

Ses heures de gloire sur les podiums des défilés étaient bien loin. Cependant, Irène gardait ce port de tête et cette démarche stéréotypés mais d'une grande élégance des mannequins professionnelles. Certes, depuis, de l'eau avait coulé sous les ponts de la mode et les canons de beauté avaient eu le temps de se modifier plusieurs fois. Mais la classe, c'est la classe et, à soixante-quinze ans passés, Irène la conservait. Gageons qu'allongée et refroidie, elle resplendira encore sur son environnement et que la croix en ligne de mire saura restituer au cimetière tout entier, la luminosité d'un squelette avantageux et encore en représentation.

Mais, l'heure n'était pas venue et c'est tant mieux. Car outre ses attraits visibles, Irène cachait un esprit fin et caustique qu'elle ne dévoilait qu'avec parcimonie, par petites touches modestes et encourageantes, et seulement à ceux qu'elle jugeait dignes de les recevoir, et par conséquent de les apprécier. Le petit sourire espiègle de fin de bon mot ou de réplique aiguisée, avait un tel charme qu'il envoûtait l'assemblée. Excepté toutefois, la victime, qui prenait l'intelligence aiguë pour de la finasserie méchante. Tant pis pour elle ! C'est qu'à chaque fois, Irène touchait juste. A chaque fois.
Son âge avancé ne l'avait nullement affaiblie. Bien au contraire. Elle retenait moins sa verve, non qu'elle fut certaine qu'on lui pardonnât plus facilement, mais parce que l'idée qu'une mort brutale puisse tuer un bon mot dans l'oeuf, lui était insupportable. Aussi, ses saillies étaient un délice et auraient, si les temps s'y prêtaient, remporté quelques beaux succès lors des joutes spirituelles des salons de cour.

Irène avait donc tout pour plaire. Donc, elle plaisait. Et surtout à Silvio, veuf convalescent, mais en bonne voie de guérison, compte-tenu des électrochocs à répétition que sa nouvelle compagne lui administrait. En paroles et en actes, s'il-vous-plaît ! Toutes les statistiques s'embrouillaient. C'était Silvio qui demandait grâce, qui finissait par prier les cieux de lui offrir une andropause fulgurante et une surdité définitive. Lui qui s'était juré, après cinquante ans de bons, loyaux et fidèles services, d'enfin diriger sa vie en toute liberté, de ne jamais accepter aucune contrainte, se retrouvait soumis, docile et malléable comme un objet, un vulgaire sex-toy humain et un souffre-douleur, faire-valoir du bon esprit de Madame. La mère de ses enfants était tout autre et il s'en plaignait, mais, l'amour pardonnait tout. De l'Irène, il ne tolérait rien, en théorie, tant il la considérait comme une seconde main, voire plus. Sa culture méditerranéenne l'avait rattrapé et ses jugements instinctifs le dépassaient. Et pourtant, l'allure de la retraitée des estrades l'avait magnétisé et la mante religieuse avait refermé le piège. Aux p'tits oignons, le Silvio ! Al dente, le Rital ! Jusqu'à ce que mort s'ensuive ! 

La comédie dura encore quelques temps. Et ce qui devait arriver arriva. Le vieux beau mourut dans son lit, d'une mort qu'on dit belle, mais surtout d'un assaut fatal. Le souci de sa virilité et son machisme atavique l'empêchèrent de demander à l'amazone à califourchons d'arrêter son moteur à réaction pour cause d'arrêt cardiaque imminent. Mort d'épuisement ? Mort d'orgueil ? L'histoire ne le dira pas.

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Commentaires
B
J'ai souri...<br /> <br /> sacrée Irène!
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C
Maintenant, ça fait trois Dominique ! ;-)
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D
Donc, les beaux esprits se rencontrent aussi :-)
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C
@ Patrick : Bien vu. C'est après relecture que j'ai tronqué "d'une mort qu'on dit belle, parfois présidentielle" ;-)
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P
Felixio Fauro ?
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