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23 août 2017

Le sang des fraises

20 août 2017 (1)

Les doigts tachés du sang des fraises, il les porta à sa bouche. Elle s'ouvrit en même temps que ses yeux se fermèrent. Et la machine du temps fit son oeuvre à l'envers. Il passa d'un coup de 85 à 5 ans. De Vierzon à Mougins. Des rhumatismes à l'innocence.
On prendrait un plaisir sans fin à tirer sur ce fil, reprendre le chemin à rebours d'une vie, comme toutes les vies, riche et mouvementée, de surprises et d'habitudes, de rires et de larmes. Mais lui seul pourrait être aussi précis alignant des souvenirs, parfois clairs, parfois arrangés et qui sait, inventés. Son esprit n'a ni la force ni la santé pour s'y coller. Alors, il attend sans savoir qu'il attend qu'un goût de fruit, un parfum de femme ou une photo fanée avalent le fil à la vitesse d'un éclair. Alors il n'a plus d'âge, plus d'avenir, juste un passé si présent, qu'il l'emplit d'un bonheur si intense qu'il s'y laisserait mourir s'il n'avait pas l'espoir de retrouver cette même sensation demain matin avec un autre déclencheur.

A fouiller dans le livre de son histoire on comble les pages blanches qu'on sait ne pouvoir écrire que de recyclage. Les os trop usés, les muscles fatigués et les jours comptés limitent les ambitions. L'acceptation du fait peut vous faire glisser vers le fond ou vous rasséréner, vous rendre fier du chemin parcouru, du sillon labouré, des graines déposées. Alors, tout sera prétexte à liens, à associations d'idées pour mettre des évènements en perspective et regonfler des anecdotes s'en rapprochant, raccrochées par un tout petit coin ou un déroulement voisin.
Un simple clou aperçu au sol et le dérouleur renverra aux routes normandes des premières vacances, roues chargées dans la voiture pour pouvoir en changer quand il n'était pas rare de crever plusieurs fois entre Paris et Granville, à cause des chevaux qui perdaient les clous de leurs sabots.
On finit par se demander si on aura encore le temps de remonter le temps. On radote car on oublie. On se relance. On relâche. On accélère en arrière. On retombe dans l'ennui. La roue tourne sur la mémoire et les stocks. On réapprovisionne si peu qu'on ressasse avec délice et l'instant présent si vanté de nos jours n'est qu'amas de passé qu'on a choisi d'appeler le bon temps.
L'auditoire se lasse ou s'en délecte, c'est selon. Selon le degré d'humanité et de curiosité, selon le degré d'égotisme ou d'indulgence.
Le temps passe à repasser et, comme dans les rêves, la sensation de l'évènement donne autant de plaisir que l'évènement lui-même. Le corps a enregistré tout ce qu'il savait pouvoir restituer pour rendre l'automne et l'hiver moins rudes à ceux qui les atteignent. Les souvenirs éclairent la pénombre et embellissent l'intérieur.
Seuls les jeunes peuvent être passéistes. Les vieux, eux, ont des souvenirs.

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