Le ciel est jaune

Le ciel est jaune. Il va pleuvoir du sable. C'est l'Afrique qui nous envoie sa vague. L'humeur est mitigée, mélancolique et pleine d'espoir. L'excitation pointe sous l'oeil sévère. L'ambiance est mi-figue, mi-raisin. Une lueur voilée peint le jour. Un printemps derrière le rideau attend l'heure de crever les nuages, c'est avril derrière février. On attend les trois coups, lové dans un fauteuil, à l'abri, près du poêle. Comme une vieillesse attendrait son démon de minuit. C'est possible. Tout devient possible. C'est l'attente et l'espérance.

Le ciel est jaune. Il nous offre du Sud, de l'enfance et des bulles de champagne. Il n'est rien besoin de faire. Tout viendra à son heure. Une seule chose est certaine : ça viendra. Le doute est relégué à l'Histoire, à la faiblesse d'esprit coupable qui nous a assailli hier ou la semaine dernière, lorsqu'un creux de vague nous a fait croire que, peut-être, le déclin, le nôtre ou celui du monde se dessinait. Erreur. Coup de mou. En embuscade, le feu se préparait à nous rendre la lucidité.

Le ciel est jaune. Il nous guide vers demain comme possédé par quelque croyance religieuse. Il ne peut rien nous arriver. La caresse de l'horizon nous enveloppe comme mère nous protège. C'est un état second sans souci. Un ciel de sable sans grain de sable, huilé, parfait. Nous sommes à la messe sans curé, au Paradis sans Saint-Pierre et au septième ciel sans ébats.

Le ciel est jaune. Il ne sait pas ses pouvoirs. Tout à l'heure, il se déchargera et nous serons aux anges. Arrosés à l'abri, nous croquerons le soleil, nous garderons quelques grains qui crisseront sous les dents et remercierons Dieu sait qui de ces moments d'éternité. Nous aurons vécu une secousse naturelle, un shoot de bien-être sans avoir rien investi d'autre que notre foi et notre disponibilité. Nous serons abreuvés de couleur et rassasiés pour plusieurs jours. Nous pourrons redresser le dos et activer nos jambes. Le monde n'aura qu'à bien se tenir. Rastignac du 21ème siècle, nous arpenterons ce qu'il reste de vie, activé d'un carburant que nous ne soupçonnions pas.

Le ciel est jaune. Il peint un tableau pour les seuls sensibles. Les autres, ceux qui râleront de voir leur voiture salie, ceux qui se croiront envahis par des migrants hostiles, ceux qui ne voient le Beau que par sa valeur marchande, n'auront que leurs râles pour se plaindre et les yeux pour pleurer. Que leurs larmes soient jaunes, c'est tout ce qu'on peut leur souhaiter. Nous ferons, de notre côté, quelques poèmes pour sublimer l'instant, des enfants pour continuer la vie, et qui sait, une page d'écriture pour s'en souvenir.